9782330053222_1_75L’Histoire : Conquistadors raconte un épisode de la conquête du monde telle que je l’ai rêvée, ouragan ou invasion de sauterelles. C’est en tous les cas un grand raout d’or et de sang, épopée glorieuse et vulgaire, comme elles le sont toutes, assortiment de hautes manœuvres et de mauvais coups. Cet épisode est celui de la conquête du Pérou par Francisco Pizarro et de la destruction de l’Empire inca. On y voit s’ouvrir la tragédie de notre monde, celui où nous vivons, par un grand fait divers où la mappemonde, Dieu, l’or et la poudre se rencontrent. Ainsi, s’accrochant aux pentes sèches de la Cordillère pour la grande chasse à Dieu, les mercenaires d’Espagne soufflèrent sur les premières braises de l’empire le vent glacial du progrès.

Vous le savez, Eric Vuillard a obtenu le prix Goncourt 2017 pour « l’Ordre du jour« . En attendant de lire ce dernier, j’ai replongé dans mes souvenirs de lecture pour vous offrir ce coup de cœur dans la bibliographie de l’auteur. Sorti en août 2009, l’ouvrage « Conquistadors » d’Éric Vuillard est édité en poche dans la collection BABEL. Attiré par l’illustration de la couverture qui est issue d’une peinture espagnole anonyme sur bois du XVIème siècle, j’ai découvert ce livre au gré de mes recherches dans une librairie, une rencontre qui s’est faite un peu par hasard, comme souvent pour moi. Il faut noter tout d’abord le style qui est plein d’érudition. Vuillard est aussi cinéaste et cela se ressent dans la façon très fine qu’il a de décrire des situations extrêmes puisqu’il s’agit ici de la conquête par Francisco Pizarro et ses hommes du Pérou provoquant la chute de l’Empire inca empêtré dans des conflits internes virant à la guerre civile. Ce livre est un cri d’une violence inouï, celui répercuté par les crimes commis au nom de dieu, ce dernier s’étant matérialisé non plus en Judée sous les traits de Jésus Christ, mais bien plus sûrement incarné dans un métal aux pouvoirs fascinants sur l’homme : l’or. Au nom de ce dieu là, les conquistadors auront tout donné à commencer par leurs âmes, celles d’hommes n’ayant plus aucun avenir en Espagne, leur terre natale, des hommes qui poursuivront un rêve, celui de devenir riches au delà de tout ce que l’on peux imaginer en conquérant des territoires jusqu’alors inexplorés. C’est ainsi que ces derniers débarquent en 1532 sur ces terres, s’emparant en quelques mois de tout un Empire déjà à demi inconscient du fait de dissensions internes, portant le coup fatal à une civilisation brillante qui n’aura malheureusement pour elle par perçu à temps le danger provoqué par l’irruption de ces hommes venus de l’autre monde. La ciguë, les indiens vont la boire jusqu’à la lie. La description des tragédies et des crimes perpétrés par ces conquistadors est une longue suite de litanies qui ne manque pas d’images édifiantes, de légendes noires et de faits qui sont pour la plupart avérés. L’or, la possession, l’idée qu’ils se faisaient d’eux mêmes et de leurs pouvoirs, le mépris de l’autre quel qu’il soit, la soif inextinguible de richesses, de terres, de sang, de meurtres, de viols et autre crimes dont ils ne se repentiront jamais réellement, tout ceci va les mener dans un abîme de vacuité, de suffisance, de haine qui les verront s’entredéchirer dans d’interminables querelles ! Il y a un côté indéniablement pathétique tant la conduite de ces hommes est contraire à toutes les règles édifiées en un siècle, le XVIème qui verra l’Espagne connaître son siècle d’or, celui d’un Charles Quint maître d’une bonne partie de l’Europe, en état de guerre perpétuelle avec un insatiable besoin d’or, de métaux précieux provenant des Amériques. Ces richesses feront pour un temps la gloire et la richesse de l’Espagne avant de provoquer sa perte. Éric Vuillard signe ici une fresque saisissante où tout les ingrédients sont réunis pour provoquer en nous émotion et réflexion. Un grand roman ! Ma note:♥♥♥♥♥/5.

Portrait de Huayna Capac, Inca XII

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61BhrwZ0zCLL’Histoire : Michel-Ange, en ce printemps 1505, quitte Rome bouleversé. Il vient de découvrir sans vie le corps d’Andrea, le jeune moine dont la beauté lumineuse le fascinait. Il part choisir à Carrare les marbres du tombeau que le pape Jules II lui a commandé. Pendant six mois, cet artiste de trente ans déjà, à qui sa pietà a valu gloire et renommée, va vivre au rythme de la carrière, sélectionnant les meilleurs blocs, les négociants, organisant leur transport. Sa capacité à discerner la moindre veine dans la montagne a tôt fait de lui gagner la confiance des tailleurs de pierre. Lors de ses soirées solitaires à l’auberge, avec pour seule compagnie le petit livre de Pétrarque que lui a offert Lorenzo de Medici et la bible d’Andrea, il ne cesse d’interroger le mystère de la mort du moine, tout à son désir impétueux de capturer dans la pierre sa beauté terrestre. Au fil des jours, le sculpteur arrogant et tourmenté, que rien ne doit détourner de son œuvre, se laisse pourtant approcher : par ses compagnons les carriers, par la folie douce de Cavallino, mais aussi par Michele, un enfant de six ans dont la mère vient de mourir. La naïveté et l’affection du petit garçon feront resurgir les souvenirs les plus enfouis de Michel-Ange. Parce qu’enfin il s’abandonne à ses émotions, son séjour à Carrare, au cœur d’une nature exubérante, va marquer une transformation profonde dans son œuvre. Il retrouvera désormais ceux qu’il a aimés dans la matière vive du marbre.

Léonor De Récondo est l’auteure de « Pietra Viva », roman sur un Michel-Ange au génie absolu et rendu ici encore plus touchant puisque terriblement humain. Réflexion sur le processus de création, sur le travail mentale qui précède le sublime, c’est ici un homme fait de chair et de sang qu’il nous est donné de voir. Qu’elle est donc le mystère se nichant dans le don d’exprimer des émotions à travers ce matériau qu’est la pierre, le marbre? La montagne est un personnage à part entière du livre. Elle est tantôt pourvoyeuse de richesses indispensables à la création, mais également menaçante car pouvant apporter la mort à tout moment. Le style est sublime et il transcende véritablement une intrigue qui en tant que tel n’est pas particulièrement enthousiasmante. Ce roman touche du doigt la vérité des émotions ressenties par un artiste terriblement humain fût-il exceptionnel. Je vous le recommande comme le petit écrin de poésie qu’il est. Ma note:♥♥♥♥♥/5.

sans-titreL’Histoire :« Enfant, Trudi Montag croyait que chaque être humain savait ce qui se passait dans la tête des autres.  » Trudi Montag vit à Burgdorf près de Düsseldorf. Trudi est naine. Souvent seule, sujette à mille et une brimades, elle passe son temps à observer ceux qui ne la voient pas. Trudi raconte les autres, jour après jour, dans leurs secrets les plus sombres et les plus inavouables. Au fur et à mesure que s’accroît le pouvoir d’Hitler, elle nous dit ce que chacun choisit de se rappeler ou d’oublier. La résistance à la barbarie pour les uns, le mensonge et la compromission pour les autres. »

« Trudi, la naine » tel est le drôle de titre choisi pour l’édition française d’un ouvrage de Ursula Hegi, auteure née en Allemagne qui a ensuite émigrée aux Etats-Unis où elle vit aujourd’hui. Ce récit profondément original, nous offre le regard de Trudi, naine intelligente et curieuse, comme point d’observation d’une bourgade allemande qui de la défaite en 1918 jusqu’au second conflit mondial puis à la reconstruction dans les années 1950, va se retrouver confronter à l’histoire mouvementée de son pays. Jamais manichéen, mais bien au contraire terriblement vivant car dressant des portraits très riches psychologiquement d’une galerie de personnage qui sur près de trente cinq ans vont se côtoyer, s’aimer, se déchirer. Trudi est humaine, pleine de doutes, de ressentiments, d’amour aussi. Un livre sur la différence, une réflexion sur les rapports humains dans une petite ville qui peu à peu cède à la fièvre du nazisme avant de plonger dans un bain d’amnésie salvatrice.. Touchant, drôle, sombre, l’ouvrage distille cette palette d’émotions à qui se laissera emporté par son flot tumultueux. J’ai adoré.

Ma note:♥♥♥♥♥/5.