L’Histoire : Ils viennent du Missouri et ont tout abandonné dans l’espoir de trouver une terre à des milliers de kilomètres de leurs foyers. Ce voyage où ils affrontent les rapides, le froid, les pluies diluviennes qui vous transpercent, la faim, constitue une suite d’épreuves exténuantes que Haycox restitue avec une ampleur, un lyrisme, une vérité inégalés. Le cinéma, à de rares exceptions près, paraît timide, aseptisé, face à l’acuité d’un tel livre. Parvenus à destination, les survivants doivent construire un nouveau monde avec ses règles, ses usages et ce malgré les rivalités, les préjugés raciaux, les barrières de classes.

Ma note : Attention chef d’œuvre !

Note : 5 sur 5.

Je remercie chaleureusement les Éditions Actes Sud ainsi que Babelio pour cette lecture et leur confiance !

Dans la collection « L’Ouest, le vrai » dirigé par le réalisateur Bertrand Tavernier chez Actes Sud, vient de paraître le plus beau roman western signé du grand Ernest Haycox : « Les Pionniers« . Haycox comptait parmi ses admirateurs, ni plus ni moins, qu’Ernest Hemingway lui-même. Plusieurs de ces romans furent adaptés au cinéma, notamment par John Ford avec « La chevauchée fantastique » où l’on retrouve dans le rôle titre John Wayne (le film qui en fît une star). Il faut dire que le souffle, la puissance d’évocation vertigineuse de Haycox dans « Les pionniers » rappelle le meilleur des westerns contemplatifs, crépusculaires, avec cette modernité dans l’écriture, dans le caractère des personnages de ce roman chorale hors norme. Il est à noter que ce roman ne fût jamais adapté au cinéma, puisqu’il sortit en 1952, deux ans après la disparition de l’illustre auteur. Considéré pendant longtemps comme un sous genre moqué, le roman western compte de nombreuses pépites très justement publiées chez Actes Sud dont « Les Pionniers » de Haycox est, en quelque sorte, la pierre angulaire. Ni suranné, ni daté, le style d’écriture Haycox allie une description vertigineuse de la nature sauvage à une finesse psychologique, des différents personnages que nous suivons dans ce roman, qui est très moderne dans son approche. Ainsi les femmes pionnières ne sont pas des simples faire valoir ici, Haycox dresse des portraits fantastiques de ces dernières avec justesse, émotion, empathie. Une écriture ciselée, magnifiée qui donne de la profondeur au récit, et qui nous rend la lecture de ce western de plus de 500 pages fort agréable. La nature est un personnage à part entière. Cinq mois de voyage avec le convoi pour rejoindre l’Oregon. Des conditions dantesques sur le plan climatique. La nature hostile, la maladie, la faim, la mort mais aussi l’espérance chevillée au corps pour ces pauvres gens de trouver enfin l’Eldorado tant promis vers l’Ouest sauvage. On quitte définitivement une vie pour en espérer une autre de meilleure. Nous sommes dans le dernier tiers du XIXème siècle. L’apocalypse s’abat sous forme de pluie et de neige, de bourrasques de vent, de tempêtes, ce qui donnent à Haycox l’occasion de graver des pages mémorables sur cet état d’esprit pionnier où le travail, la sueur, la foi en un avenir meilleur sont extrêmement présents et conditionne leurs façons de penser ce nouveau monde qu’est l’Oregon. Enfin les familles arrivent et décident de s’installer. Nous allons ainsi suivre quelques-unes de ces dernières, une communauté pionnière qui s’installe et qui doit tout construire de ses mains, car il n’y a rien mis à part la terre qui est offerte à un prix dérisoire, pour qui aura le courage de la transformer, pour récolter du blé et du maïs. Des conditions de vie impitoyable mais avec chez Haycox cette profonde humanité, de regard empreint d’empathie. Ainsi il nous décrit l’existence des quelques indiens qui ont survécu à la variole et aux massacres. Ils hantent ce western mais ce que nous allons suivre ici, ceux sont ces quelques familles de pionniers. Une citation du livre page 208, résume parfaitement tout ce roman :


« Tous ici, nous désirons ce que nous ne pouvons pas avoir. Des fils invisibles, des dizaines de fils nous tendaient d’une personne à l’autre, tissant une toile dans laquelle chacun était pris; par soucis de respectabilité, ils ne se débattaient pas mais l’espoir leur criait de se libérer ».


Haycox est très critique vis à vis de la religion. Le pasteur local est moqué pour voir satan dans toutes femmes. Ces dernières sont portées par des personnages forts comme Edna, jeune fille d’un couple de pionnier qui embrase le cœur des hommes et tels les papillons, butinent de cœur en cœur. Rice Burnett, le personnage majeur du roman et Lockyear que tout opposent désireront la même femme. Lockyear le frondeur, violent, assassin d’indiens, violeur sans scrupule de squaw. Burnett, le taiseux qui n’aurait qu’un mot à prononcer pour qu’Edna se marie avec lui. Mais il y a Katherine. Il ne sait laquelle choisir. Burnett, le protecteur d’indien, le pourfendeur de pasteur, le célibataire désiré de toutes mais qui porte un regard désenchanté sur l’amour. Dans un autre registre, il y a la pauvre Roxy battue par ce monstre de Lockyear. Veen, l’infirme qui tente de la protéger de la fureur de son frère. Louise, la squaw, l’indienne qui a épousé un homme blanc et qui est rejeté par racisme, sauf par Rice Burnett qu’elle apprécie beaucoup. Haycox questionne le racisme, le métissage, les règles édictées par les hommes de Dieu pour empêcher les hommes et les femmes de ressentir librement les élans du cœur, la violence, le pouvoir de destruction de l’homme, la volonté d’émancipation des femmes cloisonnées dans des rôles voulu par une société très patriarcale. J’ai ainsi beaucoup aimé le personnage féminin d’Edna, une femme libre qui assume son désir et sa sexualité. Elle démontre l’hypocrisie des hommes. J’ai aimé aussi Burnett, ce héros mélancolique et qui porte en lui une philosophie de vie très moderne. L’affrontement, le duel entre Burnett et Lockyear est profondément intéressant à suivre. Jamais manichéen, Haycox nous emporte avec ce roman western testament sur l’Ouest sauvage. Magnifiquement écrit, porté par un souffle qui ne retombe jamais, on peut dire sans ambages que c’est là un chef d’œuvre de la littérature américaine. A découvrir absolument !
[Actes Sud] Littérature
L’Ouest, le vrai
Janvier, 2021
14.50 x 24.00 cm
544 pages
Langue :
Fabienne DUVIGNEAU
ISBN : 978-2-330-14379-4
Prix indicatif : 24.00€