imagesL’Histoire :
Août 1992. Une vallée perdue quelque part dans l’Est, des hauts-fourneaux qui ne brûlent plus, un lac, un après-midi de canicule. Anthony a quatorze ans, et avec son cousin, pour tuer l’ennui, il décide de voler un canoë et d’aller voir ce qui se passe de l’autre côté, sur la fameuse plage des culs-nus. Au bout, ce sera pour Anthony le premier amour, le premier été, celui qui décide de toute la suite. Ce sera le drame de la vie qui commence. Avec ce livre, Nicolas Mathieu écrit le roman d’une vallée, d’une époque, de l’adolescence, le récit politique d’une jeunesse qui doit trouver sa voie dans un monde qui meurt. Quatre étés, quatre moments, de Smells Like Teen Spirit à la Coupe du monde 98, pour raconter des vies à toute vitesse dans cette France de l’entre-deux, des villes moyennes et des zones pavillonnaires, de la cambrousse et des ZAC bétonnées. La France du Picon et de Johnny Hallyday, des fêtes foraines et d’Intervilles, des hommes usés au travail et des amoureuses fanées à vingt ans. Un pays loin des comptoirs de la mondialisation, pris entre la nostalgie et le déclin, la décence et la rage.

J’avoue accueillir chaque année, avec circonspection, l’heure où l’on annonce à un(e) écrivain(e) qu’il a obtenu un des nombreux prix littéraires. Parmi ces derniers, le plus prestigieux, le prix Goncourt 2018, qui a été décerné à Nicolas Mathieu pour « Leurs enfants après eux« , son second roman qui fait suite à un premier roman déjà salué par la critique (« Aux animaux la guerre », 2014). Dès les premières lignes, on est emporté par ce récit, qui traverse l’oeuvre de son auteur depuis ses débuts, celui de décrire un monde en déshérence, une terre autrefois prospère où les âmes en peine semblent s’être donné rendez vous pour faire un dernier pied nez à la vie, avant de sombrer dans l’âbime des alcools, de la drogue, de l’ennui qui tue plus sûrement encore. Nicolas Mathieu signe un livre d’une acuité, d’une vérité qui est proprement saisissante. Que ce soit dans les dialogues, dans les situations dépeintes, dans cette peinture réaliste d’une misère sociale enfantant la frustration, le manque de perspective, d’avenir, de sens pour des vies trop tôt abîmées par cette idée que le déterminisme social conditionne tout. L’écriture est ici au service de ceux, fantômes ou spectres d’une France qui se meurt et qui, dans ces années 1990, (temps où se passe l’action de ce récit) voit poindre les prémices des malheurs qui la rongent aujourd’hui encore : le chômage, la misère et ces conséquences, notamment sur les adolescents de ces territoires oubliés, délaissés par les politiques successives. Nicolas Mathieu reprend le flambeau d’une littérature qui s’interroge sur les conséquences de décennies d’incurie, de négligence, de conditionnement qui ont conduit à des conséquences dévastratrices. On est ému, touché par la justesse du propos. Il nous parle de l’adolescence, de cet âge où tout se dessine, des premiers amours, de leurs conséquences, de l’impossible avènement d’une réelle espérance quand à une vie meilleure pour ces jeunes issus de milieux défavorisés. Une frontière se dessine à l’horizon et elle traverse le roman de part en part, car, plus que tout, on hérite de la situation, du milieu social de ses parents comme on hérite des traits physiques ou de caractère de ces derniers. « Leurs enfants après eux » est un immense roman sur les fractures sociales, les failles qui parsèment ces territoires oubliés, sur l’impossibilité de faire advenir les espérances d’une jeunesse meurtrie par le poids du monde. Nicolas Mathieu dresse le portrait des paumés, des proscrits d’un modèle social qui autrefois leur assurait l’espoir d’une vie meilleure que celle de leurs parents ou grands parents. Ses mots touchent et résonnent dans nos âmes pendant longtemps.

Ma note:5/5.

Broché: 425 pages
Editeur : Actes Sud (22 août 2018)
Collection : ROMANS

 

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