Ma chronique : Abnousse Shalmani entrecroise deux portraits de femme poétesse et autrice, celui de Marie de Régnier (1875-1963) et celui de Forough Farrokhzad (1934-1967). Forough est iranienne et n’aura de cesse, tout au long de sa vie, de vouloir vivre telle une femme libre, émancipée, sans attache autre que celle de suivre ses sentiments, ses désirs. Mariée très jeune, à seize ans, et devenue mère d’un enfant, elle divorcera pour « mauvaise conduite », telles étaient les accusations portées par son mari et sa propre famille. Seul son frère, lui-même convaincu par la justesse des idées défendues par sa sœur, ne lui tournera pas le dos. Un frère qui sera assassiné au début des années 1990 par l’Iran des Mollahs alors qu’il est en exil. La république islamique n’est pas encore advenu lorsque Forough déploie ses ailes pour écrire de la poésie, mais déjà le poids des traditions visant à mettre sous cloche les désirs des femmes, à ne jamais parler de plaisir, de désir, de sexe, de jouissance, est bien présent. Forough va être célébré dans le milieu littéraire iranien comme une poétesse au talent immense. Une femme à contre courant de la société patriarcale et oppressive pour les femmes iraniennes. Elle se rêve vivant librement telle Marie de Heredia qui, à la belle époque en France, fréquente le gratin des auteur(e)s et vit selon l’unique précepte de jouir, un leitmotiv, une doctrine, une profession de foi, son seul et unique dieu, le seul qui l’anime et la guide. Marie et Forough, deux destins, deux envies, deux époques, deux mêmes célébrations de l’amour, de la jouissance, du sexe libéré de tout préjugé patriarcal. Deux femmes qui refuseront de se laisser enfermer dans le seul rôle de mère, elles voudront voler de leurs propres ailes, s’échapper de la prison, du modèle de femme que l’on souhaitera pour elles et qui ne leur convenaient pas. Alors oui, « J’ai péché, péché dans le plaisir » est un roman fascinant dans le tableau qu’il nous dresse de ces deux femmes exceptionnelles, poétesses, voulant jouir de leurs corps autant que de leurs mots. Des vies qui seront le terreau fertile d’une œuvre poétique. On comprend parfaitement l’allégorie qui est faite pour le combat qui se poursuit, plus que jamais aujourd’hui, contre l’obscurantisme islamiste en Iran et ailleurs. Le titre du roman le symbolise clairement, « péché » un terme religieux teinté de négativité mis en perspective avec l’idée de plaisir, de jouissance, qui effraie tant d’hommes souhaitant ne pas voir les femmes libre de leurs corps. Abnousse Shalmani signe un roman puissamment évocateur, un message fort pour les femmes et leurs droits, leurs libertés contestées dans le monde. Marie et Forough sont deux symboles forts de femmes ayant assumées leurs désirs. C’est un roman à découvrir.

Mon avis :

Note : 4 sur 5.