L’auteur : Marcus Rediker est professeur distingué d’histoire atlantique à l’université de Pittsburg. Historien, écrivain et militant des droits de l’homme, il est spécialiste de l’histoire maritime et notamment de l’Atlantique. Ses livres ont été traduits en quatorze langues, notamment en français au Seuil : À bord du négrier. Une histoire atlantique de la traite (2013 ; « Points Histoire », 2017), Les Révoltés de l’Amistad. Une odyssée atlantique (1839-1842) (2015) et Les Hors-la-loi de l’Atlantique. Pirates, mutins et flibustiers (2017).

Ma chronique : Quel destin singulier que celui de Benjamin Lay ! Rien ne le prédestinait au parcours qui fût le sien. Né en 1682, en Angleterre, Benjamin Lay était un homme de petite taille, bossu qui dût soulever des montagnes pour être ce qu’il devînt. Il fût tour à tour berger, puis gantier avant de devenir marin. Il vécût tout d’abord dans la campagne de l’Essex, avant de rejoindre la Barbade où il vît l’horreur de l’esclavage. C’est un traumatisme qui ne le quittera plus, le hantera jusqu’à sa mort. A l’heure où l’immense majorité de ses concitoyens considéraient l’esclavage comme normal, le racisme comme acceptable, pour Benjamin tout ceci était intolérable, révoltant et il n’eût de cesse, une fois à Philadelphie aux Etats-Unis (alors colonie anglaise), de dénoncer avec férocité, véhémence et un immense courage les contradictions de ceux qui se disaient des croyants mais qui possédaient des esclaves. Benjamin Lay était un Quaker. Un croyant et un homme pieux mais l’hypocrisie des pasteurs le mettait en colère, le plongeait dans une rage folle. Aussi, il mit au point des actions militantes visant à choquer, à marquer les esprits comme lorsqu’il interrompt un sermon en jetant le sang, d’une vessie d’animal, sur les pasteurs propriétaires d’esclaves. La question de l’esclavage, et sa dénonciation radicale, il en fût un des précurseurs. La force de ses actions lui attirât un nombre élevé d’ennemis puissants à Philadelphie et ailleurs. Mais notre homme avait le courage et la force de celui qui se sait être du côté de la justice, de l’humanisme. Sa vie durant et jusqu’à sa mort en février 1759, Lay maintient ses positions et ne s’en laisse pas compter. Aucune intimidation, aucune moquerie liée à sa petite taille, à ses prises de positions etc. n’auront raison de lui. Adepte des livres, pas seulement religieux mais philosophique, notre homme aimait tout particulièrement Diogène de Sinope, un philosophe de l’Antiquité qui le marquât. Il aimait philosopher avec les passants, échanger pour faire évoluer les consciences mais toujours avec cette forme de radicalité, qui caractérisait son approche de la question politique et philosophique (à l’image de Diogène de Sinope, le premier cynique). En 1738, il publia un livre pour s’ériger en adversaire résolu et radical de l’esclavage. Un abolitionniste qui marquera les esprits de son vivant mais qui souffrît après sa mort, d’un relatif oubli, pour de multiples raisons. Benjamin était de petite taille, d’un milieu modeste là où les hommes aisés de son époque étaient dans leur très grande majorité des partisans de l’esclavage. Les historiens l’oublièrent pendant longtemps, le qualifiant péjorativement de « petit homme » un peu « fou. » Mais Benjamin Lay n’était pas fou, au contraire, il mît en place une stratégie, médiatique avant l’heure, visant à faire passer son message par le biais d’un activisme radical. Précurseur des Lumières, Benjamin était convaincu de l’égalité entre les races, abolitionniste nous l’avons vu, contre la peine de mort, végétarien, défenseur acharné de la cause animal, etc. C’est tout l’intérêt de ce livre du grand historien Marcus Rediker, replacer dans la chronologie abolitionniste le parcours et l’action de Benjamin Lay. Montrer sa singularité mais aussi à quel point il fût en avance sur son temps. Comme il le souligne brillamment, ceux sont les années 1730-1740 qui furent fondatrices pour le mouvement abolitionniste aux Etats-Unis. Au final, on découvre un personnage historique profondément attachant jusque dans ses excès. Un homme sincère, autodidacte, humble, aidant les plus pauvres, les opprimés et surtout un révolté de l’injustice, un soldat au service de l’amour de son prochain et un pourfendeur de chaque instant de l’esclavage. Marcus Rediker signe un portrait où l’on ressent l’empathie de l’historien pour son sujet. Nul doute que le militant des droits de l’homme fût touché par ce si singulier Benjamin Lay.

Ma note :

Note : 4 sur 5.