Synopsis : L’histoire vraie d’Ersin Karabulut, célèbre artiste de bande dessinée turc ; son parcours des banlieues déshéritées d’Istanbul aux sommets de l’édition et de la presse satirique ; comment il vécut, parfois en première ligne, les bouleversements et l’agitation politique de son pays, une Turquie transitant lentement d’une démocratie à un régime autoritaire. En même temps qu’il raconte son parcours d’artiste et de citoyen lambda, Ersin Karabulut dresse le portrait d’un pays tiraillé par des antagonismes politiques et sociétaux profonds, dont l’histoire récente est faite de coup d’états, d’espoir, de désillusion et de drames.

C’est l’histoire de l’ascension d’un petit garçon espiègle et curieux, très tôt tourné vers sa passion pour le dessin et plus particulièrement, à partir de l’adolescence, les caricatures. Ersin Karabulut, l’auteur du « Journal inquiet d’Istanbul » narre dans cette BD passionnante la grande et la petite histoire de la Turquie, sa terre natale. Il grandit dans une famille instruite avec un père soucieux de ne pas faire de vague. Une famille dans laquelle le poids de la religion ne se ressent pas. Ils sont laïcs. Très tôt, Ersin perçoit la menace sourde des fous de Dieu, des islamistes et des conservateurs de l’AKP, le parti d’Erdogan. Tout cela fait suite à des tensions entre des membres de l’extrême gauche et de l’extrême droite qui assassinent les uns et les autres, créant un climat de terreur. Le père d’Ersin aurait pu ne pas y réchapper, lui qui pourtant ne voulait pas se mêler de politique. Choisir de caricaturer dans une veine humoristique n’est pas chose aisée et l’on ressent ce climat délétère qui progresse et fait reculer les libertés, notamment celle de l’expression. Ersin a beaucoup de talent et du courage, mais la force de cette BD réside dans cette absence de manichéisme contre-productif. Ainsi, pour se représenter, l’auteur se caricature lui-même au niveau du visage. C’est judicieux puisque Ersin se moque aussi de lui-même et pas seulement des autres. Il y a un humour bien présent quoique mâtiné d’un voile de noirceur par moment. La Turquie est divisée entre des islamistes conservateurs et des laïcs progressistes, même si je choisis ici, délibérément, la voie la plus simple pour présenter cette division politique complexe. Une BD où l’on parle d’histoire, de politique, du parcours d’un homme courageux tout en ayant la décence de ne pas se présenter comme un héros. L’auteur a beaucoup d’humour et cette immersion dans la société turque jusqu’à l’arrivée au pouvoir d’Erdogan nous permet d’apprendre beaucoup de choses. Ersin Karabulut ne porte pas dans son cœur l’autocrate d’Istanbul. Le ciel se charge de nuages sombres, l’orage gronde avec cette menace de la mise à l’écart de la société, de l’emprisonnement, voire pire encore. Une société qui se fige dans un conservatisme hypocrite. Là encore, Ersin nous dépeint sa part d’idéalisme, voire de naïveté dans sa jeunesse. Son courage est indéniable face aux menaces islamistes. J’ai beaucoup aimé les illustrations, le soin apporté aux textes et l’intelligence du scénario. Cette idée de le voir entouré de multiples super héros de son enfance et adolescence, je la trouve très touchante. Je n’ai plus qu’une hâte, lire le second volume qui est déjà sorti. Le succès critique et public de cette BD est amplement mérité. N’hésitez pas à la lire si vous souhaitez comprendre le basculement conservateur en Turquie.

Mon avis :

Note : 5 sur 5.

Date de publication : 19 août 2022 ; Éditeur : Dargaud ; Nombre de pages : 152 p.