L’Histoire : Quand Omer Dewavrin entre dans l’atelier d’Auguste Rodin, dédale de formes humaines de pierre et de glaise, il a la certitude d’avoir fait le bon choix. Notaire et maire de Calais, il a confié au sculpteur à la réputation naissante la réalisation d’un monument en hommage à six figures légendaires de la guerre de Cent Ans : les Bourgeois de Calais. Nous sommes en 1884, et Dewavrin ne sait pas encore qu’il s’écoulera dix ans avant que l’artiste, en quête de perfection, se décide à déclarer son travail achevé. La bouleversante chorégraphie de bronze n’existerait pas sans ce bourgeois du XIX? siècle qui, devinant le génie du sculpteur, l’obligea à aller au bout de lui-même et imposa son œuvre en dépit du goût académique et des controverses idéologiques. Sa femme Léontine et lui sont les héros inattendus de cette histoire, roman de la naissance d’une amitié et de la création du chef-d’œuvre qui révolutionna la sculpture.

Je remercie chaleureusement les éditions de La Table Ronde ainsi que Babelio pour cette lecture et leur confiance.

Mon Avis :

Note : 5 sur 5.

Il fallait tout le talent d’écriture de Michel Bernard pour se lancer dans un tel projet, celui de faire revivre, grâce à ses mots, la fièvre créatrice d’Auguste Rodin. Un homme est à l’origine de la demande faite à Rodin de créer le fameux monument des « Bourgeois de Calais », il s’agit d’un notaire, maire de Calais en 1884 : Omer Dewavrin. C’est à cette date qu’il choisit de confier à Rodin, lui qui n’était encore qu’un sculpteur comptant des disciples mais n’ayant pas la notoriété qu’il acquit par la suite, la création de cette œuvre majeure. Il fallut dix années d’âpres luttes pour que surgissent, des affres de la créativité sans limite de Rodin, et de la patience, de l’énergie de Dewavrin, « Les Bourgeois de Calais » inauguré en 1895 à Calais. le succès de l’œuvre est phénoménal. Douze exemplaires seront par la suite commandés dans le monde entier. C’est un roman élégant, puissamment enraciné dans le terreau fécond et nourricier du génie de Rodin. Celui-ci le dit, son génie est une énigme, ses mains et ses doigts étant le prolongement mystérieux de son esprit. On touche ici à ce qui est presque ineffable, la force créatrice, cette énergie, cette folie pour certain(e)s qui pousse l’artiste à aller toujours chercher à s’élever pour purifier, magnifier son art. Michel Bernard réussi son pari tant l’écriture est à la hauteur du sujet. Les mots sont ciselés, magnifiés, décortiquant les évolutions, les étapes depuis la commande de l’œuvre jusqu’ à son terme. En toile de fond, l’histoire qui depuis plusieurs livres passionnent Michel Bernard et ses lecteurs : la guerre de Cent-Ans. Ici, l’héroïsme de six riches habitants de Calais qui se livrèrent au roi d’Angleterre Edouard III pour que leurs concitoyens soient épargnés suite à ce siège qui a épuisé la patience de ce roi.
Nous sommes à la fin du XIXème siècle, en pleine création de ce que l’on appellera le mythe du « roman national. » « Les Bourgeois de Calais » montre l’utilisation politique, l’instrumentalisation à des fins autres que le simple fait d’exposer l’art pour l’art. Mais depuis tout temps, c’est le cas, l’art est politique et il est, en quelque sorte, le fruit des consciences, des rapports de force qui traversent la société. A 35 ans, Rodin était pauvre, sans protecteur, sans mécène, jamais reçu dans les salons, pas dans les petits papiers des puissances établies de la sculpture officielle. Rodin le sait, son art dérange et s’est justement pour cela qu’il croit en son génie et que d’autres sont époustouflés par son art. Parmi eux, l’un des tous premiers n’est autre qu’Omer Dewavrin. Le style d’écriture est pleins de lyrisme, envoûtant, et fait de ce roman une puissante réflexion sur l’art.

Auteur : Michel Bernard Editeur : La Table ronde Date de parution : 26/08/2021 Collection Vermillon

Michel Bernard Paris septembre 2017