L’Histoire : « La porte du voyage sans retour » est le surnom donné à l’île de Gorée, d’où sont partis des millions d’Africains au temps de la traite des Noirs. C’est dans ce qui est en 1750 une concession française qu’un jeune homme débarque, venu au Sénégal pour étudier la flore locale. Botaniste, il caresse le rêve d’établir une encyclopédie universelle du vivant, en un siècle où l’heure est aux Lumières. Lorsqu’il a vent de l’histoire d’une jeune Africaine promise à l’esclavage et qui serait parvenue à s’évader, trouvant refuge quelque part aux confins de la terre sénégalaise, son voyage et son destin basculent dans la quête obstinée de cette femme perdue qui a laissé derrière elle mille pistes et autant de légendes.« 

Je remercie chaleureusement Babelio et les éditions du Seuil pour cette lecture et leur confiance !

Mon Avis : Coup de 💙 absolu! 💙💙💙💙💙/5

Les mots se bousculent dans mon esprit à l’heure de vous livrer mon sentiment sur ce troisième roman de David Diop, qui fait suite (est-il besoin de le rappeler ?) au « Frère d’âme », lauréat du prix Goncourt des lycéens en 2018 et du prix international Man-Booker en 2021.  Paru aux éditions Du Seuil, « La porte du voyage sans retour » est non seulement un sublime roman mais je pense qu’il marquera autant que son prédécesseur les esprits, les consciences des lecteurs. Le style d’écriture est envoûtant, ciselé, magnifié par un David Diop qui nous entraîne au Sénégal, dans le pays où il a grandi, pour nous parler de l’esclavage au milieu du XVIIIème siècle. Un sujet fort et qui est abordé ici avec une puissance d’évocation peu commune. David Diop s’inspire de la vie de Michel Adanson, naturaliste français (1727-1806) qui séjourna à partir de 1750 et pendant cinq années au Sénégal. « La porte du voyage sans retour » fait référence au surnom donné à l’île de Gorée, lieu d’horreur et de terreur, d’où partirent des millions d’Africains au temps de la traite des Noirs. Au début de cette histoire racontée par David Diop, nous sommes en 1806 et Michel Adanson sent ses dernières forces le quitter. La mort rôde et sa fin est proche, il le sait alors il convoque les fantômes qui le hantent depuis près de cinquante longues années. un prénom revient sur ses lèvres, répété inlassablement tel un mantra sacré : Maram. Celui qui n’aura jamais achevé son rêve de chef d’œuvre encyclopédique botanique, souhaite offrir les moyens à sa fille Aglaé, de mieux le comprendre, lui l’homme de science, muré dans ses écrits et ses ambitions académiques. Qu’a t’il voulu fuir, oublier ? Que cache son silence avec sa fille, son divorce avec son épouse délaissée ? Il désirait rester dans la mémoire de sa fille tel qu’en lui-même. Aglaé découvre les carnets son père, un louis d’or, une fleur d’hibiscus, un bout d’indienne et un collier de perles de verre blanches et bleues. Cet homme, qu’elle connaissait si peu au fond, allait lui confier le secret qui pesait sur son cœur depuis tant d’années. Elle commença à lire ces cahiers débutant par ces mots : « Pour Aglaé, ma fille bien aimée (…). » Nous remontons le fils du temps pour revenir en août 1752, au Sénégal, Adanson décide de retrouver la trace d’une jeune africaine promise à l’esclavage et qui se serait évadée. L’histoire lui semble si folle qu’il ressent le besoin irrépressible de retrouver cette jeune femme, aidé de Ndiak, le fils du roi du Waalo. Son voyage va l’emmener à découvrir ce Sénégal intime, pays aux multiples croyances, l’islam bien sûr, mais aussi celles encore ancrées de l’animisme, des esprits, le « rab » protecteur. Michel Adanson va ainsi découvrir peu à peu l’histoire de Maram Seck, la nièce de Baba Seck, chef d’un village au Sénégal. Qui était Maram ? Où se sont-ils rencontrés Adanson et elle ? Quels souvenirs si essentiels sont attachés à sa personne ? Dans cette quête d’absolu, Adanson va perdre ses illusions et découvrir un pays gangréné par la soif inextinguible des esclaves emmenés pour être vendu aux blancs avant de partir pour les Amériques. L’horreur de l’esclavage, de ces femmes, enfants, hommes enlevés à leur terre et arrachés à leur sol natal, aux droits foulés au pieds par ceux qui font de l’argent, la compagnies des Indes dont dépendait la concession du Sénégal. Jamais manichéen, David Diop souligne avec clarté, limpidité, la bassesse de ceux qui profitent de ce commerce de la honte, hommes blancs et complices noirs. Ces royaumes, ces traditions ancestrales, la faune et la flore du Sénégal et cette meurtrissure faite à l’Afrique avec ces déportations de millions d’esclaves.. On ressort de cette lecture le cœur serré, bouleversé par la confession de Michel Adanson à sa fille Aglaé, bouleversé par cette histoire de deux êtres que je vous laisse le soin de découvrir.. C’est un roman que l’on n’oublie pas, un livre remarquablement écrit et pensé par David Diop. « La porte du voyage sans retour » est une odyssée brillante et mélancolique aux confins de la vie et de la mort, à mi chemin entre les fantômes et les esprits, entre l’histoire de Maram et celle de Adanson, avec en toile de fond la terrible blessure de l’esclavage. Sublime.

Littérature française
Romans
Date de parution 19/08/2021
19.00 € TTC
320 pages