Ma Note :

Note : 5 sur 5.

Je remercie très chaleureusement les Éditions Albin-Michel et sa collection « Terres d’Amérique » pour cette lecture et leur confiance !

« Toutes les chances qu’on se donne« , la nouvelle qui donne ce si beau titre au premier recueil de nouvelles de l’auteur canadien Kevin Hardcastle, est la parfaite synthèse de l’influence dans son écriture d’éléments sombres et mystérieux. Cette nouvelle est l’avant dernière du recueil, et c’est sans doute la plus enthousiasmante de ce livre. Un couple de personnes âgés vit à la campagne. Ils ont un point d’eau, une sorte de piscine hors d’âge où ils retrouvent, presque chaque matin, une créature morte noyée dans ces eaux. Des écureuils, des oiseaux, et puis un jour, le corps d’une jeune fille est retrouvé, noyée elle aussi. La police interroge le couple. Un homme vivrait dans les bois alentour dans une cabane et il ne serait, comme son père autrefois, que noirceur. Bientôt d’autres victimes.. Ce texte nimbée d’une aura de mystère, de maléfice même, est d’une puissance rare. Il y a toute une mythologie des paumés du Canada, de cette noirceur aussi propre au roman polar, de la violence de la société nord américaine, des désillusions de ces exclus, de ces perdants du libéralisme, de ceux qui doivent courber l’échine ou trouver des moyens parfois illégaux pour se sortir du sordide de leur vie. J’ai songé à un autre auteur nord américain que j’admire beaucoup : David Joy. Cette même écriture acérée qui vous broie et fait de nous lecteurs les témoins de l’âpreté de la survie pour ces paumés, ces perdants. Dès les premières pages de la nouvelle « Le vieux Marchuck« , Kevin Hardcastle installe une atmosphère de roman noir, oppressante, viscérale. Le vieux Marchuk, nous sommes au Canada, est cambriolé par deux jeunes hommes. Marchuk n’hésite pas, sûr de son bon droit, il sort de chez lui son calibre 12 collé à l’épaule et abat, de sang froid, les deux voleurs. Hoye, policier de son état est appelé sur les lieux. Marchuk ne comprend pas son incarcération tandis que Hoye et sa femme Jenny, leur bébé, sont ostracisés et victime de menaces pour qu’ils quittent cette petite ville où ils ne sont plus les bienvenue. Kevin Hardcastle est un grand écrivain, cela se ressent dans sa façon de tisser des histoires qui vous prennent aux tripes pour ne plus vous lâcher. Ces personnages sont les témoins de la vie telle qu’elle est, sans contrefaçon, sans truchement. « La corde » voit un fils, Matthew, voulant sortir sa mère des ravages de l’alcool et de la dépression. C’est très émouvant, cette relation maladroite et pleine de tendresse. L’auteur nous envoûte, nous ensorcelle là encore. « Frontières du Montana » nous plonge dans la vie d’un combattant de freefight amoureux d’une infirmière. Un récit déchirant et puissamment évocateur. Une écriture qui nous fait l’effet d’un coup de poing dans l’estomac. Toujours sur ce fil ténu entre lumière et obscurité, dans « Bandits », l’auteur n’a pas son pareil pour nous raconter une histoire de famille, des paumés alcooliques accroc au vol et à tout ce qui peut être illicite. On sourit devant le côté pathétique de ce père de famille, qui est une brute sans foi ni loi, cognant avant de réfléchir. Des voleurs connus de tous et imbibés de whisky, de bières bon marché, montant des coups foireux. Qu’adviendra t’il d’eux ? Des portraits haut en couleurs, des histoires où vie et mort, ombre et lumière s’entremêlent intimement. Témoins lucide de son époque, Kevin Hardcastle s’adresse à nos cœurs, à nos tripes, il exhume la noirceur présente en nous, en l’homme en nous disant, ne détourner pas le regard face à ce que vous ne voulez pas voir, mais lever la tête et contempler l’étendu du mal, de la corruption. Il y a aussi une part de lumière délivrant de beaux moments d’émotions qui agissent comme autant de moyens prouvant que le mal n’est pas irrémédiable. Prisonnier de leurs pulsions, les âmes de certains de ces personnages semblent promis au courroux du destin tandis que d’autres entrevoient la lumière. « Toutes les chances qu’on se donne » est un formidable recueil puisant dans le roman noir les pulsations littéraires faisant vibrer nos cœurs de lecteurs. Cela vient de paraître chez Albin Michel dans la très belle collection « Terres d’Amérique ». Je vous encourage chaleureusement à le lire.

Édition brochée
20.90 €

28 Avril 2021
140mm x 205mm
256 pages
EAN13 : 9782226403001