L’Histoire : Je m’appelle Hildegard Müller. Ceci est mon journal.
Je m’appelle Hildegard Müller. En fait, je crois que je ne m’appelle pas. J’ai soixante-seize ans. Je sais à peine lire et écrire. Je devais être la gloire de l’humanité. J’en suis la lie. Qui est Hildegard Müller ? Le jour où il la rencontre, l’homme engagé pour écrire son journal comprend que sa vie est irracontable, mais vraie. J’ai besoin, avant de mourir, de dire à mes enfants d’où ils viennent, même s’ils viennent de nulle part.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Au cœur de cette rentrée littéraire 2020 d’une grande richesse, le roman d’Oscar Lalo « La race des Orphelins » paru aux Éditions Belfond (son second après « Les Contes défaits » en 2016), occupe une place de choix dans le cœur de ces lecteurs. Attardons nous quelque peu sur ce titre, le mot race est en minuscule tandis que celui d’Orphelins commence par une majuscule. Il s’agit ici de signifier que les nazis et leur barbarie n’ont réussis à créer qu’une seule race : celle des Orphelins. C’est un roman poignant, ténébreux, au style d’écriture remarquable. L’histoire qui nous est racontée est celle d’une femme âgée de soixante-seize ans se prénommant Hildegard Müller. Elle n’est sûr ni de son âge, ni de son prénom, encore moins de son nom et de son lieu de naissance. Hildegarde veut se confier « au scribe », nom donné à celui qui est chargé d’écrire cette histoire, son histoire, celle d’une enfant née dans une maternité SS appelée un « Lebensborn ». Il en existait 34 dont 9 en Norvège pendant la Seconde guerre mondiale. Elle ignore tout, ni où, ni quand elle est née. Probablement en 1943. La caractéristique principale des enfants des Lebensrom est de n’avoir été officiellement conçus par personne. Il y a une triple incertitude : la date de naissance, le lieu, l’identité des parents. Hildegard est une énigme, une inconnue et elle porte le poids d’un passé qui la hante. Elle n’a sa place nulle part. Les enfants Lebensrom n’étaient déclarés ni à la mairie, ni à l’église mais uniquement dans des registres qui ont tous été détruits par les bourreaux SS le 30 avril 1945, pendant que l’Allemagne entière brûlait en un gigantesque brasier. Hildegarde dit ainsi que le suicide d’Adolf Hitler tombe le jour de son autodafé. En cas d’adoption, le Reich ne fournissait à la famille d’accueil qu’un seul document, celui qui certifiait que les enfants étaient d’ascendance aryenne. C’est tout. Le projet Lebensrom date de 1935 et il a été fondé par Himmler le chef de la SS. Son objectif ultime est à la mesure de la folie de ce régime : remplacer la race inférieure par la race supérieure. Oscar Lalo écrit : « la seule race que les SS aient créée est la race des orphelins ». Hildegard déteste l’initiale de son prénom : le H de Hitler, de Heinrich Himmler, de Heydrich, de Rudolf Hess, de Rudolf Höss. Une enfance volée doublée de la non reconnaissance après guerre de son statut de victime du nazisme. Ils étaient vus comme les fils et filles des nazis. Oscar Lalo écrit cette phrase sublime : « Votre enfance est une flamme étouffée mais jamais éteinte. C’est pour cela qu’elle vous brûle encore ». Le roman nous plonge dans une réalité atroce, celle des pouponnières du Reich, celle des Lebensrom, un monde de sélection où les plus fragiles, ceux qui ne correspondaient pas aux idéaux nazis étaient impitoyablement euthanasiés. Comme un écho aux souffrances vécues aux mêmes moment par des millions d’hommes, de femmes, de vieillards et d’enfants gazés dans les camps d’exterminations nazis. Les carences affectives pour ces enfants des Lebensrom étaient incommensurables. C’était un puits sans fond, celui de l’absence totale d’amour maternel et paternel pour ces enfants victimes du nazisme. Le retard au niveau psychique, intellectuel étaient criant car les nazis ne pensaient qu’à en faire la future chair à canon pour les garçons et pour les filles, les ventres qui donneront à leur tour des enfants en un maléfique dessein. C’est un sujet peu abordé par les historiens et encore moins par les romanciers et cela fait toute l’originalité du livre d’Oscar Lalo. On est remué, bouleversé, secoué par cette lecture qui nous parle d’un pan méconnu de la Seconde guerre mondiale. Le roman est écrit comme un journal où chaque page exprime une idée de Hildegard. L’ensemble se lit très vite. Un fort joli roman sur la recherche de ces origines, l’absence, le manque affectif et la difficile construction de l’adulte qui doit se forger, grandir sans racine, sans amour. Je terminerais par ces mots d’Oscar Lalo, extrait de ce roman : « C’est ça la définition du totalitarisme : quand l’être humain devient superflu ». A découvrir. Un des romans phares de cette rentrée littéraire 2020.

Broché : 288 pages

Éditeur : Belfond (20 août 2020)