L’Histoire : Memphis, juillet 1878. En pleine rue, pris d’un mal fulgurant, un homme s’écroule et meurt. Il est la première victime d’une étrange maladie, qui va faire des milliers de morts en quelques jours.

Ma note :

Note : 4.5 sur 5.

« La Fièvre » qui vient de paraître chez Albin Michel est le troisième roman de Sébastien Spitzer. Un auteur incontournable en cette rentrée littéraire. Le récit se déroule à Memphis, dans l’État du Tennessee aux États-Unis entre juillet et septembre 1878. Cette ville était la capitale du coton d’Amérique et tout passait par la Bourse du Coton érigée sur Front Street. Une épidémie de fièvre jaune décima la ville cette année là, et Sébastien Spitzer bâti son histoire autour de cet événement. En pleine pandémie de Covid19, on ne peut-être qu’impressionné par l’écho qui résonne en nous de cette épidémie, près du fleuve Mississippi, à Memphis. A cette époque, on ignorait tout du vecteur de la transmission de la maladie à savoir le moustique. Les moyens employés pour contrer la maladie sont empiriques, aussi beaucoup d’habitants choisissent de fuir la ville, l’auteur décrivant avec son talent habituel, cette confusion extraordinaire à Memphis avec par exemple la prise d’assaut du train quittant la ville, les bousculades, les morts. A Memphis, tout n’est alors que mort et désolation face à ce fléau de la fièvre jaune. La toile de fond historique est passionnante car nous sommes une dizaine d’années seulement après la fin de la terrible Guerre de Sécession (1861-1865) opposant le Nord au Sud confédérés. Car l’autre thématique très importante de « Fièvre » c’est le racisme et la question noire à Memphis où rien n’a changé pour les habitants noirs malgré le XIIIe Amendement de la Constitution Américaine de Lincoln qui abolit définitivement l’esclavage en 1865 : « Ni esclavage, ni servitude involontaire, n’existeront aux États-Unis, ni dans aucun lieu soumis à leur juridiction ». Les revendications des Noirs à Memphis sur le droit de vote entraînent des violences abominables en 1866, où les quartiers noirs sont mis à sac : maisons brûlées, femmes violées et une quarantaine de personnes noirs assassinées. Malgré l’abolition, rien n’a vraiment changé pour les Noirs. La scène d’ouverture du livre plante d’ailleurs le décor et nous immerge dans l’horreur d’une exécution punitive d’un homme noir affranchi, pendu à un arbre par cinq membres du Ku Klux Klan. Les esprits sont marqués d’entrée. Sébastien Spitzer dans son roman va s’intéresser aux destins de trois personnages confrontés à cette épidémie de fièvre jaune. Parmi eux, Keathing, membre actif du KKK, dirige un journal local. Il regrette le Sud d’avant la Guerre de Sécession, raciste et esclavagiste. Il a de la haine contre tout ce qui se rapproche de près ou de loin aux idées progressistes d’alors. Sa femme est partie à New York avec ses deux enfants. Il est cocu, autant de raisons de haïr le monde. Nous retrouvons également la jeune Emmy, métisse de 13 ans qui attend le retour de prison de son père Billy coupable d’une arnaque à l’assurance. Ce qu’elle apprendra bientôt, c’est que son père, la veille de la revoir, est l’une des premières victimes de la fièvre alors qu’il passait la nuit dans un bordel dirigé par Mme Cook, Anne de son prénom, tenancière de douze filles, femme à poigne mais avec un grand cœur. La mère d’Emmy s’appelle Emilia. Elle cuisine et sert la famille James, des Blancs. Ces quelques semaines dans une ville vidée de ses habitants et abandonnés aux pilleurs, c’est le barbier des faubourgs, T. Brown et ses quelques miliciens qui vont assurer la sécurité et la subsistance des rares habitants restés. T. Brown commandait le régiment des Zouaves du temps de l’occupation yankee de la ville pendant la Guerre de Sécession. T. Brown est un ancien esclave, qui se bat depuis des années pour que ses habitants reconnaissent son statut d’homme libre. Anne Cook va transformer sa maison close en hôpital de fortune, révélant une part d’elle même qu’on ne pouvait deviner de prime abord. La jeune Emmy, Anne Cook, Keathing, T. Brown, Kerenn la prostituée au grand cœur, Fitzgerald et sa lâcheté, toute cette galerie de personnages va évoluer au cours du récit, entre compromission mais aussi espérance, pardon, émancipation, amitié, amour. Sébastien Spitzer en formidable portraitiste saisit l’instantané d’une époque, d’une ville avec ce don d’écriture toujours aussi impressionnant. « Fièvre » ne nous perd jamais, la narration est très fluide et le contexte historique rend l’ensemble passionnant à suivre. C’est une confirmation de plus du talent de cet auteur. Un des jolis romans à ne pas manquer en cette rentrée littéraire.

Broché : 320 pages
Éditeur : Albin Michel (19 août 2020)