L’Histoire : « Peu après la sortie de mon premier roman, Le cœur cousu, une lectrice m’a raconté une coutume espagnole dont j’ignorais l’existence : dans la sierra andalouse où étaient nées ses aïeules, quand une femme sentait la mort venir, elle brodait un coussin en forme de cœur qu’elle bourrait de bouts de papier sur lesquels étaient écrits ses secrets. A sa mort, sa fille aînée en héritait avec l’interdiction absolue de l’ouvrir. J’ai métamorphosé cette lectrice en personnage. Lola vit seule au-dessus du bureau de poste où elle travaille, elle se dit comblée par son jardin. Dans son portefeuille, on ne trouve que des photos de ses fleurs et, dans sa chambre, trône une armoire de noces pleine des cœurs en tissu des femmes de sa lignée espagnole. Lola se demande si elle est faite de l’histoire familiale que ces cœurs interdits contiennent et dont elle ne sait rien. Sommes-nous écrits par ceux qui nous ont précédés ? Il faudrait déchirer ces cœurs pour le savoir. . « . C. M.

Je remercie chaleureusement les Éditions Gallimard ainsi que Babelio pour cette lecture et leur confiance !

Voici venu l’heureux et excitant moment de cette rentrée littéraire 2020, avec une auteure que j’admire tout particulièrement, pour son écriture poétique et sensuelle, c’est bien entendu de Carole Martinez et de son nouveau roman dont je vais vous parler ici. « Les Roses fauves » sont une célébration élégiaque des mots et de leurs puissances d’évocation. Ces derniers chantent et vibrent dans nos cœurs. On les cueillent comme autant de formules magiques se susurrant à l’oreille un soir d’orage en Bretagne, elles s’égrènent en formant un texte à la beauté et à la profondeur qui font de ce nouveau livre un indispensable à lire en cette rentrée. Comme aurait-il pu en être autrement ? Carole Martinez nous plonge dans une histoire dont elle a le secret, un feu sacré entre fantasme féminin, rêve et réalité. Car ici, nous sommes en présence d’un texte qui célèbre le courage, la force de ces femmes qui ont dû, à mesure où l’histoire et ses soubresauts d’une violence inouïe advenaient, affronter la vie et son tumulte, seules. Les cicatrices, les blessures, les étreintes même avec les hommes qu’elles vont aimer ne sont que des parenthèses dans un chaos intérieur où amour, passion et désir doivent se juger à l’aune des conventions, des usages de leur temps qui ont été bâti par les hommes pour asseoir leur domination. Je vois dans « Les Roses fauves », un récit sur l’émancipation, la libération des désirs, des pulsions sexuelles, une célébration de la nature et de sa beauté, de sa cruauté, de sa sauvagerie également, où il est question de fleurs capiteuses au parfum lourd et entêtant qui excitent et troublent les sens. Le destin, la mort, la vie, l’amour, le désir, tout se conjuguent en un audacieux roman à l’atmosphère chargée en souvenirs, ceux des hommes et des femmes se frôlant avant de ne faire plus qu’un puis de disparaître. Il y est ainsi question des ancêtres de Lola, cette femmes boiteuse d’une beauté et d’un charme propre à réveiller les récits des temps jadis. Lola est un diminutif, son nom est espagnol, Dolorès, ses ancêtres ont dû quitter l’Espagne à l’issue de la défaite des républicains pour échapper aux pelotons d’exécution de Franco et des fascistes. Lola vit en Bretagne, elle a un beau jardin avec notamment ces roses fantastiques. Le petit mur attenant au cimetière s’effondre et les roses de s’étendre en délivrant les mystères de leur parfum capiteux. Son infirmité a endurci le cœur de Lola, mais bientôt l’amitié qui va naître avec l’auteure de ce roman, (on peut imaginer Carole Martinez ou son alter égo), la fascination des deux femmes pour ces cœurs cousus, contenant les secrets des femmes de la lignée, avec ces mots qui n’ont pu être dit, et qui sont conservés après la mort par celle qui lui succède dans la généalogie, tout cela va provoquer un éveil à la sensualité, une libération du corps corseté de Lola. C’est dans une armoire bretonne que sont contenu les cœurs cousus. Elles décident un soir, de lire ceux d’Inès Dolorès.. Nous sommes là face à la mise en abîme de la place de l’écrivain, de son travail de construction fictionnel. Ainsi l’auteure et Lola ne se rejoignent pas sur le fait qu’il y ait une frontière entre la réalité et la fiction. Carole Martinez se confie sur sa famille et son rapport à l’écriture, sur son métier de romancière. Il y a des digressions dans le récit comme avec ces vieilles femmes qui échangent sur leurs vies à la poste du village breton. La mort fauche les premiers amants des femmes de la famille de Lola qui craint d’être à son tour l’enfant d’un fantôme comme toutes les aînées de sa lignée. C’est enfin un roman foisonnant qui tel un feu d’artifice sensoriel éclatant nous amène à nous interroger sur le poids du transgénérationnel. La question majeure étant de de comprendre les enjeux sous-jacents, le poids des racines, de la filiation. Romancière de grand talent, Carole Martinez ne nous perd jamais en chemin grâce à son art éprouvé de la narration. C’est un des grands romans de la rentrée littéraire 2020. Voilà quelques années que nous attendions un nouveau roman de Carole Martinez. Il est là à présent. « Les Roses Fauves » de Carole Martinez est paru chez Gallimard. Plongez vous dans son univers si singulier vous ne le regretterez pas. Sublime.

Ma note :

Note : 5 sur 5.

Broché : 352 pages
Éditeur : Gallimard (20 août 2020)
Collection : Blanche