vintage new year 2020 line badge on blurred colorful backgroundMes meilleurs vœux pour cette année 2020 à vous toutes et tous qui faites vivre ce blog avec tous ces échanges, ces partages, ces découvertes.. Je vous souhaite la santé et les bonheurs qui font le sel de la vie. Pour ma part, j’attends avec impatience le concert de Liam Gallagher au Zénith de Paris le 21 Février 2020 ! Je voulais vous remercier chaleureusement pour cette belle aventure Blog qui se poursuit en 2020 avec un immense plaisir ! Je fêterais cette année, les 10 ans du blog « La culture dans tous ses états » sur WordPress !  Que 2020 soit riche en coup de cœurs littéraires📚, cinéphiles🎦, musicaux🤘🎸 et séries📺

Bises bretonnes et amitiés ! 🥂🤗🙏😊

Frédéric.

Je ne voulais pas séparer, par principe, littérature et thriller, vous retrouverez donc dans ce bilan de l’année qui vient de s’achever, des livres de différents horizons. Le livre de l’année fût facile à retrouver. Il s’agit de Jesmyn Ward et de son magnifique « Le chant des revenants« . Jesmyn Ward nous livre un récit d’une élégance, d’une grâce folle, au style sublime, incandescent, élégiaque et mélancolique. La puissance d’évocation de son écriture est digne des plus grands auteurs américains dont elle est l’héritière légitime, les Steinbeck, les Faulkner.   Don Winslow, auteur phare de thriller suit en seconde position. Il est sorti en 2018, mais je l’ai lu en 2019 alors « Corruption » est dans ce classement😉. C’est un polar vertigineux. Autre livre marquant en matière de thriller, « Les refuges » de Jérôme Loubry. D’ores et déjà culte. Sébastien Spitzer et son « Le cœur battant du monde » est en quatrième position. Il confirme avec ce magnifique roman tout le potentiel entrevu dans « Ces rêve qu’on piétine » son tout premier roman. Enfin en cinquième position, l’auteur allemand Chris Kraus pour « La fabrique des salauds« , un des romans majeurs de cette année.

Enfin, j’ai tenu à parler du livre de Joseph Ponthus « A la ligne, feuillets d’usine » qui m’a énormément touché. Joseph Ponthus a obtenu le Grand Prix RTL/Lire 2019, le prix Régine Deforges 2019 et le prix Jean Amila-Meckert 2019. Le public a plébiscité ce livre. La reconnaissance d’un homme qui pourra ajouter une nouvelle corde à son arc : celle d’écrivain talentueux.

1) Mon livre de l’année : « Le chant des revenants » de Jesmyn Ward chez Belfond (7 février 2019)

20190320_155113L’Histoire : Jojo n’a que treize ans mais c’est déjà l’homme de la maison. Son grand-père lui a tout appris : nourrir les animaux de la ferme, s’occuper de sa grand-mère malade, écouter les histoires, veiller sur sa petite sœur Kayla. De son autre famille, Jojo ne sait pas grand-chose. Ces blancs n’ont jamais accepté que leur fils fasse des enfants à une noire. Quant à son père, Michael, Jojo le connaît peu, d’autant qu’il purge une peine au pénitencier d’État. Et puis il y a Léonie, sa mère. Qui n’avait que dix-sept ans quand elle est tombée enceinte de lui. Qui aimerait être une meilleure mère mais qui cherche l’apaisement dans le crack, peut-être pour retrouver son frère, tué alors qu’il n’était qu’adolescent. Léonie qui vient d’apprendre que Michael va sortir de prison et qui décide d’embarquer les enfants en voiture pour un voyage plein de dangers, de fantômes mais aussi de promesses…

« Le chant des revenants » est le livre de tous les superlatifs tant il convoque, en son sein, une créativité prodigieuse alliée à une poésie unique, celle des mots, celle du Verbe de Jesmyn Ward. L’écrivaine est d’ailleurs la seule femme à avoir reçu le « National Book Award » à deux reprises : pour « Bois sauvage » en 2012 et pour « Le chant des revenants » en 2017. Elle a aussi obtenu pour ce dernier le « Grand prix des lectrices de ELLE » 2019 ainsi que le « Prix AMERICA » 2019. Ce livre est une promesse, c’est une tragédie, c’est un voyage à travers l’histoire d’une Amérique dont les fantômes sont encore bien ancrés, ceux du racisme envers les populations afro-américaines qui le subissent depuis l’arrivée des premiers esclaves noirs sur son sol et même au delà de son abolition.. L’arrivée au pouvoir de Barack Obama aurait pu signifier qu’un grand pas en avant avait été réalisé, mais hélas la lèpre du racisme empoisonne encore l’Amérique. Jesmyn Ward nous livre un récit d’une élégance, d’une grâce folle, au style sublime, incandescent, élégiaque et mélancolique. La puissance d’évocation de son écriture est digne des plus grands auteurs américains dont elle est l’héritière légitime, les Steinbeck, les Faulkner. L’histoire, ce chant des revenants est d’une beauté crépusculaire. Jojo à treize ans mais il doit déjà s’occuper de Michaela qu’il surnomme Kayla. Sa grand mère est atteinte d’un cancer. Elle va mourir. Elle et son grand père sont les piliers, ceux qui ont donné de l’amour à ce petit fils et à sa sœur. Leur mère, Léonie malheureusement, ne peut pas donner cet amour exclusivement tourné vers son compagnon Michael. Il est blanc, elle est noire. Ils auront deux enfants. La famille de Michael, notamment son père, profondément raciste, n’accepte pas cette union contre nature selon lui. Léonie entame un périple en voiture pour le rejoindre alors que ce dernier va sortir de prison. Jojo voit bien que sa mère le frappe, qu’elle est accroc à toutes sortes de drogues depuis son plus jeune âge, elle qui fût enceinte de Michael à l’âge de dix sept ans seulement. Et puis il y a ces fantômes, ces spectres que Jojo voit, comme sa mère Léonie les voit.. Ce frère de Léonie assassiné mais aussi le jeune garçon que son propre père à connu lorsqu’il était en détention. C’est un récit polyphonique aux voix qui s’entrecroisent sans qu’à aucun moment nous ne soyons perdu. Cette histoire, c’est en toile de fond celui de l’Amérique hanté par ses démons : le racisme, la drogue, la pauvreté.. Mais le talent de Jesmyn Ward est de ne jamais livrer une partition trop pathos, car ce roman transpire aussi de l’amour inconditionnel, de sentiments, d’émotions sublimés par la prose, la plume tout en délicatesse de Jesmyn Ward. La question de l’enracinement, de la famille, des liens qui s’entrecroisent en son cœur, de la mort enfin, compagne malgré nous.. Ce n’est pas seulement, un « excellent livre », c’est d’ors et déjà un classique de la littérature, une œuvre culte comme on en lit peu. Il est en bonne place dans mon panthéon littéraire personnel tant j’ai été soufflé par l’intelligence, la maestria ensorcelante d’une écrivaine au sommet de son art. Absolument sublime.

Ma note: 5/5.

Broché: 272 pages
Éditeur : Belfond (7 février 2019)

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2) « Corruption » de Don Winslow chez HarperCollins (7 novembre 2018)

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L’Histoire : Denny Malone est le roi de Manhattan North, le leader charismatique de La Force, une unité d’élite qui fait la loi dans les rues de New York et n’hésite pas à se salir les mains pour combattre les gangs, les dealers et les trafiquants d’armes. Après dix-huit années de service, il est respecté et admiré de tous. Mais le jour où, après une descente, Malone et sa garde rapprochée planquent pour des millions de dollars de drogue, la ligne jaune est franchie. Le FBI le rattrape et va tout mettre en œuvre pour le force à dénoncer ses coéquipiers. Dans le même temps, il devient une cible pour les mafieux et les politiques corrompus. Seulement, Malone connaît tous leurs secrets. Et tous, il peut les faire tomber…

Vous avez aimé « Le Parrain » de Mario Puzo sur la mafia italienne. Vous allez adorer « Corruption » le nouveau roman de l’immense Don Winslow. N’y allons pas par quatre chemins, avec « Corruption », l’auteur signe un véritable chef d’œuvre, une histoire tentaculaire, aux multiples ramifications, une ode, un hymne à l’impossible rédemption d’êtres humains qui à force de trop côtoyer l’horreur, le vide, la nuit, la drogue, l’argent sale qui corrompt et dévore aussi sûrement les âmes que les vers corrompent les cadavres, n’en reviennent plus et se perdent à jamais en enfer.. Car oui l’enfer existe et il n’est pas d’ordre surnaturel mais bien réel et Denny Malone l’arpente en tant que chef d’une équipe de la Task Force, l’unité d’élite de la police new-yorkaise. Avec lui et son équipe, vous allez plonger dans les bas-fonds, les méandres, les aspérités d’une ville légendaire : New York. Don Winslow ne juge pas, il décrit et surtout il cherche à comprendre comment des hommes aussi courageux, si fiers de défendre et de protéger, en arrivent à franchir, un jour, la ligne jaune entre ce qui est permit et ce que l’on doit faire pour rester en vie et maintenir un semblant d’ordre dans les rues. La justice, la morale, l’éthique sont lettres mortes dans ces quartiers insalubres où la pauvreté, la drogue, la prostitution, les gangs, les cartels, les corrompus de tout poil semble s’être donner rendez-vous.. Malone veut pouvoir assurer un avenir à ses enfants, il est attiré un peu comme les papillons se jetant sur les phares allumés d’une voiture en pleine nuit, au risque de se faire percuter et de se prendre la réalité en pleine face.. Car oui Denny Malone, est l’homme des basses œuvres, celui qui permet aux rues de ces quartiers oubliés de tous, de ne pas succomber davantage. Il se sert.. cet argent, cette drogue.. il a le droit à sa part aussi, et pourquoi pas ? Seulement, il y a dans les quartiers huppés de New York, des avocats, des juges, des entrepreneurs immobiliers, des politiques corrompus et bousculer leur ordre, c’est risquer la mort à coup sûr. « Corruption » se vit comme un voyage, un aller simple vers ce que nos sociétés produisent ou reproduisent inlassablement. Les petits poissons se font manger par les plus gros, eux mêmes dévorer par les requins gravitant au sommet. Un roman captivant, saisissant, une œuvre brutale, émouvante, déchirante. Don Winslow en parlant de la corruption mais aussi du problème majeur du racisme dans la police de New York, dresse un portrait sans concession de ce que vivent les flics de New York au quotidien. Magnifiquement écrit, captivant, bourré de rebondissements, passionnant, enthousiasmant, les mots manquent presque face à ce livre qui est à mon sens ce que j’ai lu de meilleur depuis R.J Ellory. J’avais adoré « La griffe du chien », « Cartel ».. sans doute « Corruption » est-il encore au dessus. « Corruption », le dernier livre de Don Winslow est précédé de critiques unanimes et dithyrambiques. James Ellroy, Stephen King.. ont eux aussi joints leurs voix à ce concert de louanges. L’attente de ma part était énorme et le moins que je puisse dire, c’est que je n’ai pas été déçu par ce voyage au cœur de la Task Force. Si vous ne deviez lire qu’un polar cette année, ce serait celui-ci. Avec Don Winslow et son « Corruption », le mot chef d’œuvre n’est pas galvaudé. Bien au contraire.

Ma note: 5/5.

Broché: 592 pages
Éditeur : HarperCollins (7 novembre 2018)
Collection : HarperCollins Noir

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3) « Les refuges« de Jérôme Loubry chez Calmann-Lévy (4 septembre 2019)

9782702166390-001-TL’Histoire : Installée en Normandie depuis peu, Sandrine est priée d’aller vider la maison de sa grand-mère, une originale qui vivait seule sur une île minuscule, pas très loin de la côte. Lorsqu’elle débarque sur cette île grise et froide, Sandrine découvre une poignée d’habitants âgés organisés en quasi autarcie. Tous décrivent sa grand-mère comme une personne charmante, loin de l’image que Sandrine en a. Pourtant, l’atmosphère est étrange ici. En quelques heures, Sandrine se rend compte que les habitants cachent un secret. Quelque chose ou quelqu’un les terrifie. Mais alors pourquoi aucun d’entre eux ne quitte-t-il jamais l’île ? Qu’est-il arrivé aux enfants du camp de vacances précipitamment fermé en 1949 ? Qui était vraiment sa grand-mère ? Sandrine sera retrouvée quelques jours plus tard, errant sur une plage du continent, ses vêtements couverts d’un sang qui n’est pas le sien…

Merci à mon amie Pascaline de l’excellent blog « Lire et courir » de m’avoir permis de découvrir ce thriller exceptionnel : https://lireetcourir.wordpress.com/?wref=bif

Avec son dernier thriller « Les refuges« , Jérôme Loubry fait exploser les codes en nous faisant vivre une expérience de lecture saisissante et qui détonne. On ne peut qu’être emporté par ce récit aux multiples portes qui va vous faire réfléchir, cogiter sur son issue. Jérôme Loubry n’a jamais aussi bien écrit. Son style s’épanouit dans cette histoire maitrisée d’une main de maître par un auteur au sommet de son art. Un thriller éminemment psychologique, épatant, renversant. Il repousse les frontières latentes entre rêve et réalité et nous immerge dans un climat angoissant sans forcer le trait. Il va être très difficile de faire mieux en terme de suspens, de style d’écriture. Thriller de tous les superlatifs qui nous démontre, s’il en était besoin, combien les auteurs français de la nouvelle génération ont su se hisser au niveau des meilleurs polars américains. Car oui, les auteurs français n’ont plus rien à envier aux maîtres du suspens américains. Je n’insiste pas sur l’histoire que je vous laisse le soin de découvrir car je ne souhaite pas vous priver de ce plaisir de la surprise. Croyez moi, si vous aimez être baladé, mené en bateau, nul doute que ce thriller fera parti de vos chouchous. On est ému, bouleversé, par un Jérôme Loubry qui signe ici son meilleur livre. La fin est un bijou d’inventivité. Une lecture indispensable. Ne passez pas à côté du dernier Jérôme Loubry.

Ma note: 5/5.

Broché: 395 pages
Éditeur : Calmann-Lévy (4 septembre 2019)

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4) « « Le cœur battant du monde» de  Sébastien Spitzer chez Albin Michel (21 août 2019)

9782226441621-jL’Histoire : Dans les années 1860, Londres, le cœur de l’empire le plus puissant du monde, se gave en avalant les faibles. Ses rues entent la misère, l’insurrection et l’opium. Dans les faubourgs de la ville, un bâtard est recueilli par Charlotte, une Irlandaise qui a fui la famine. Par amour pour lui, elle va voler, mentir, se prostituer sans jamais révéler le mystère de sa naissance. L’enfant illégitime est le fils caché d’un homme célèbre que poursuivent toutes les polices d’Europe. Il s’appelle Freddy et son père est Karl Marx. Alors que Marx se contente de théoriser la Révolution dans les livres, Freddy prend les armes avec les opprimés d’Irlande.

Sébastien Spitzer poursuit son exploration du passé, de l’histoire avec toujours cette faculté extraordinaire qu’il possède, celle de tisser entre eux les différents liens d’un récit passionnant, envoûtant à plus d’un titre. « Le cœur battant du monde« , tout comme son prédécesseur, ne manque pas de ce souffle qui habite les textes enlevés et qui convoquent, entre autres, les fantômes de Karl Marx, d’Engels et de toute une époque frémissante dans les années 1860, en Angleterre où germait déjà les graines des grandes tragédies à venir, celles des Totalitarismes du XXème siècle. L’industrialisation, la mondialisation s’étaient immiscées dans la vie de l’empire le plus puissant du monde. Déjà, le profit se concentrait dans les mains de quelques-uns tandis que la masse du peuple croulait sous le poids des dettes et de la misère, du travail dans des conditions apocalyptiques et de la vie dans des quartiers populaires insalubres. Il y a du Dickens dans ce Sébastien Spitzer mené de main de maître et qui nous emporte par un style d’écriture ciselé et une analyse fine qui nous permet de nous projeter dans une vision à l’échelle multiscalaire, celle de la guerre de sécession aux États-Unis qui a un impact sur la production de coton exportée vers l’Angleterre, obligeant de nombreuses manufactures à fermer leur porte et poussant les ouvriers au chômage. Là encore, l’impact d’évènements lointains sur la vie de ces travailleurs nous montre combien les liens étaient inextricables tant du point de vue économique que financier. Mais revenons-en à notre histoire, car ici il est aussi question de l’intime, de Karl Marx qui eût un enfant caché avec une employée. Il s’appelle Freddy et il est né le 23 juin 1851. Il n’a jamais été reconnu par son illustre père et sera confié à une jeune femme irlandaise pauvre, Charlotte, qui devra à tout prix gardé le poids du secret de cette naissance illégitime. A Londres puis à Manchester, il faudra vivre caché, traqué par les polices d’Europe et aussi par les hommes de main du frère noble et richissime prussien de la femme de Marx surnommée Jenny la rouge, née baronne mais qui renoncera à tout pour suivre la destinée de son idole de mari : Karl Marx. Ce dernier mènera une vie de bourgeois, dépensant sans compter l’argent qu’il devait au soutien financier essentiel de son ami Engels, le fameux Lord du coton. On suit donc le parcours de Charlotte et Freddy dans cette Angleterre industrialisée de la seconde moitié du XIXème siècle, on y lit la misère, la souffrance des Irlandais qui peuplaient ces quartiers insalubres des grandes villes anglaises. Ils n’avaient rien ou presque et devaient lutter pour leur survie au quotidien. « Le cœur battant du monde » est une véritable plongée, une immersion dans cet univers où l’argent faisait ou défaisait les réputations, où les hommes valaient à peine plus que des bêtes de somme. Sébastien Spitzer confirme avec ce nouveau livre tout le potentiel entrevu dans « Ces rêve qu’on piétine » son tout premier roman. Il poursuit dans la veine du roman historique et s’inscrit d’ors et déjà comme un des auteurs marquant de cette rentrée littéraire.

Ma note: 5/5
Broché : 448 pages
Éditeur : Albin Michel (21 août 2019)

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5) « La fabrique des salauds » de Chris Kraus chez Belfond (22 août 2019)

La Fabrique des salaudsL’Histoire : Une poignée de douleur et de chagrin suffit pour trahir, et une seule étoile scintillant dans la nuit pour qu’un peu de lumière brille par intermittence dans toute cette horreur. Dans la lignée des Bienveillantes de Jonathan Littell ou de Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez, un roman hors normes, une fresque exubérante et tragique, pleine de passion, de sang et de larmes, qui retrace tout un pan du XXe siècle, de Riga à Tel Aviv en passant par Auschwitz et Paris. À travers l’histoire de Koja, Hubert et Ev Solm, deux frères et leur sœur, sorte de ménage à trois électrique, Chris Kraus nous entraîne dans des zones d’ombre où morale et droiture sont violemment bafouées, et dresse en creux le portrait d’une Europe à l’agonie, soumise à de nouvelles règles du jeu.

« La fabrique des salauds » est le tout premier roman paru en France, aux éditions Belfond, d’un auteur allemand dont vous allez entendre parler : Chris Kraus. Une fresque monumentale d’une acuité saisissante, un tourbillon romanesque, une tragédie grecque à l’échelle d’un continent meurtri par la déflagration que fût l’irruption du nazisme et de ses velléités hégémoniques destructrices qui aboutirent au second conflit mondial. La plume de Chris Kraus est ciselée, délicate, sensible, non dénué d’un humour qui fait du bien car il s’agit ici de plonger dans les méandres de la folie, de la colère, de la trahison, un monde où les ténèbres obscurcissent l’horizon d’une humanité à l’agonie. Ce roman dantesque, à tout point de vue, est une réussite totale et le fruit d’un travail prodigieux sur la montée du nazisme, ses crimes, les complicités, les lâchetés, petites et grandes, qui ont pu entraîner ces hommes et femmes dans un immense brasier. Début des années 1970, dans la chambre d’un hôpital allemand, Koja est l’homme de toutes les compromissions, de tous les rouages de la machinerie des services secrets. De la SS en passant par le KGB, la CIA et même le Mossad, notre homme sera telle une anguille capable de se faufiler dans les moindres interstices pour suivre son instinct premier et grégaire : survivre à tout prix. Ce vieil homme avec une balle logée dans la tête qui ne l’a, ô miracle, pas fait succomber, se décide enfin à se confier pour dire ce qu’il n’a jamais pu raconter jusque là. C’est à un vieil hippie qui est dans le lit d’à côté qu’il va vouer ces quelques jours à libérer sa conscience de tous les méfaits qu’il a commis au nom d’une propension à changer les règles selon les préceptes politiques, idéologiques du moment. Oui, Koja est un salaud mais c’est surtout un homme qui s’est perdu, d’identités factices en mensonges éhontés, il traverse ce XXème siècle, lieu de toutes les confrontations. De Riga, en Lituanie au début du XXème siècle, en passant par les années de montée du nazisme dans les années 1920-1930, le second conflit mondial, la Shoah, la reconfiguration des rapports de force après 1945 dans un monde devenu bi-polaire entre l’Ouest pro Américain et l’Est soumis au communisme et à l’URSS, la fondation de l’État d’Israël, la traque des criminels de guerre nazis mêlée des compromissions de l’État fédéral allemand avec ces derniers.. c’est tout ce magma d’évènements écrasant les individus sous leurs poids, dont Koja fût le témoin. On suit son destin et celui de son frère Hub et de sa sœur Ev dans ce roman foisonnant et passionnant, véritable réflexion sur « la banalité du mal » chère à Hannah Arendt, les compromissions de ceux qui, à chaque échelon, du plus infime au plus élevé, ont permis ces crimes contre l’humanité durant la guerre 1939-1945. C’est aussi un roman sur la fin d’un monde et l’irruption d’un autre non moins inquiétant. On ne peut s’empêcher de songer à Jonathan Littell en lisant ce roman crépusculaire, envoûtant, magnétique. Si vous aimez les romans historiques, d’espionnages, les fresques familiales, le tout servi par un style d’écriture plein de souffle et d’une puissance d’évocation rare, alors « La Fabrique des salauds » devrait vous emportez. C’est, à mon sens, un des romans majeurs de cette rentrée littéraire.

Ma note: 5/5.

Broché: 880 pages
Éditeur : Belfond (22 août 2019)

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Meilleur premier roman « A la ligne, feuillets d’usine« de Joseph Ponthus chez La Table Ronde (3 janvier 2019)

255160988L’Histoire : À la ligne est le premier roman de Joseph Ponthus. C’est l’histoire d’un ouvrier intérimaire qui embauche dans les conserveries de poissons et les abattoirs bretons. Jour après jour, il inventorie avec une infinie précision les gestes du travail à la ligne, le bruit, la fatigue, les rêves confisqués dans la répétition de rituels épuisants, la souffrance du corps. Ce qui le sauve, c’est qu’il a eu une autre vie. Il connaît les auteurs latins, il a vibré avec Dumas, il sait les poèmes d’Apollinaire et les chansons de Trenet. C’est sa victoire provisoire contre tout ce qui fait mal, tout ce qui aliène. Et, en allant à la ligne, on trouvera dans les blancs du texte la femme aimée, le bonheur dominical, le chien Pok Pok, l’odeur de la mer.

C’est sans doute une des chroniques les plus difficiles qu’il m’ait été donner d’écrire. Comment retranscrire la puissance d’évocation d’« A la ligne, feuillets d’usine« , un récit, un témoignage vibrant d’une telle force, avec un tel sens inouï de l’authenticité, du parler « vrai » ? Avec ce premier roman Joseph Ponthus signe une œuvre d’une acuité saisissante sur le monde de l’usine, celui des ouvriers des conserveries de poissons et des abattoirs, la ligne qui ne s’arrête jamais, nuit et jour, semaine après semaine, mois après mois.. Un monde peuplé de chefs et d’une armée d’intérimaires se sacrifiant sur l’autel du travail à la chaîne parce qu’il faut bien vivre, remplir son frigo, payer les factures, le loyer.. Sans misérabilisme mais avec un sens de la phrase incisif, de la formule, qui remue au plus profond de l’âme, l’écrivain nous transporte dans un monde que nous méconnaissons. Joseph Ponthus a été étudiant en littérature à Reims, il a eu plusieurs vies en une : tour à tour travailleur social, éducateur spécialisé avant de rejoindre la Bretagne et plus précisément Lorient où il vit et travaille dans ces usines, ces abattoirs se nourrissant des bêtes menées à la mort, finissant en carcasses poussées, découpées par une armée des ombres récoltant à la sueur de leur front, à la suite d’un travail harassant et peu gratifiant, leur maigre salaire. Joseph Ponthus aurait pu sombrer mais il avait l’amour de son épouse, de son chien Pok Pok et celui de l’écriture, des mots, des chansons, des poètes, des auteurs qui continuent de réenchanter sa vie. Car Joseph Ponthus n’a pas honte de sa situation et de ce statut social que beaucoup juge (à tord) insignifiant, sans ambition. Il est intérimaire, il travaille et il garde la tête haute parce qu’il le reconnaît, même si son travail est âpre, difficile, il se sent fier d’être avec ses camarades ouvriers. On lit ce livre d’une traite, sans reprendre son souffle, la gorge sèche en se demandant comment l’homme peut avoir créé de telles conditions de travail bien souvent indignes ? Ce livre m’a touché, ému, bouleversé car ces feuillets d’usine sont l’œuvre d’un auteur d’une sensibilité, d’une intelligence de cœur et d’esprit peu commune. Oui c’est dur de travailler en usine mais il a la force de souligner combien il peut-être chanceux par rapport à d’autres qui n’ont même pas de travail, de toit.. Je pense que si nous voulons comprendre la colère qui s’exprime depuis plusieurs mois, à travers le conflit des gilets jaunes, à l’aune des résultats des élections européennes, et bien il nous faut nous plonger dans des livres qui ont cette qualité énorme : celle de parler avec une sincérité désarmante de la vie telle qu’elle se passe pour des millions d’entre nous. C’est un vibrant hommage aux salariés précaires, aux ouvriers déclassés, à tous ceux qui peinent, malgré leur travail, à joindre les deux bouts. Joseph Ponthus a obtenu le Grand Prix RTL/Lire 2019, le prix Régine Deforges 2019 et le prix Jean Amila-Meckert 2019. Le public a plébiscité ce livre. La reconnaissance d’un homme qui pourra ajouter une nouvelle corde à son arc : celle d’écrivain talentueux.

Ma note: 5/5.

Broché: 272 pages
Éditeur : La Table Ronde (3 janvier 2019)
Collection : Vermillon

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