gabrieltallentphotoalexadams_copieVoici venu l’heure du bilan de cette année littéraire 2018, riche en découvertes et autres confirmations du talent de jeunes auteurs qui ont l’avenir pour eux ! Trois auteurs ont retenu, tout particulièrement, mon attention : Gabriel Tallent qui signe, à mon sens, LE livre de l’année 2018 avec « My absolute Darling« . Pour un premier livre c’est un coup de maître tant celui-ci m’a époustouflé. Le style est sublime, l’histoire nous arrache des larmes, c’est un très grand livre ! En seconde position, la confirmation d’un talent hors norme, celui de David Joy avec son très sombre « Le poids du monde« . L’écriture est, là encore, bouleversante, inventive.. C’est là encore un livre à ne pas manquer. David Joy est un des auteurs majeurs de ces dernières années. Autre trentenaire au talent immense, Nicolas Mathieu et son roman social « Leurs enfants après eux« . Un Goncourt en mode majeur et un livre d’une sincérité désarmante, d’une acuité saisissante.. En quatrième position Sebastian Barry qui signe avec « Des jours sans fin » une fresque d’une puissance d’évocation rare qui nous emporte dans les lointaines terres de l’Ouest américain au XIXème siècle. Enfin, un auteur qui m’a soufflé littéralement par sa maîtrise du rythme, du suspens, Henri Loevenbruck et son addictif thriller d’espionnage « J’irai tuer pour vous« . Un grand moment de lecture. Place aux critiques détaillées de chacun de ces ouvrages !

Je voulais vous remercier chaleureusement pour cette belle aventure Blog qui se poursuit en 2019 avec un immense plaisir ! A nos découvertes, échanges, partages, Bises bretonnes 😉

cvt-my-absolute-darlingL’Histoire : À quatorze ans, Turtle Alveston arpente les bois de la côte nord de la Californie avec un fusil et un pistolet pour seuls compagnons. Elle trouve refuge sur les plages et les îlots rocheux qu’elle parcourt sur des kilomètres. Mais si le monde extérieur s’ouvre à elle dans toute son immensité, son univers familial est étroit et menaçant : Turtle a grandi seule, sous la coupe d’un père charismatique et abusif. Sa vie sociale est confinée au collège, et elle repousse quiconque essaye de percer sa carapace. Jusqu’au jour où elle rencontre Jacob, un lycéen blagueur qu’elle intrigue et fascine à la fois. Poussée par cette amitié naissante, Turtle décide alors d’échapper à son père et plonge dans une aventure sans retour où elle mettra en jeu sa liberté et sa survie. My Absolute Darling a été le livre phénomène de l’année 2017 aux États-Unis. Ce roman inoubliable sur le combat d’une jeune fille pour devenir elle-même et sauver son âme marque la naissance d’un nouvel auteur au talent prodigieux.

Gabriel Tallent signe avec « My Absolute Darling » le roman phénomène de cette année 2018. Il aura mis huit longues années à peaufiner l’un des textes les plus perturbant, mais surtout, à mon sens, le plus puissant de ces dernières années. La plume de Gabriel Tallent est celle de l’incision. Elle découpe, incise au scalpel les événements, les bouleversements, les émotions, les ressentis d’une toute jeune adolescente de quatorze ans prénommée Julia, mais que son père appelle Turtle. Dès le premier chapitre, on est saisi par le dégoût d’un homme : Martin, son père qui est surtout l’incarnation absolu du mal, un personnage d’une noirceur, d’une ambivalence, d’une perversité redoutable. Un manipulateur démoniaque, implacable, incestueux avec sa fille, d’une sauvagerie et d’une bestialité qui rendent la lecture de ce livre éprouvante. Le style d’écriture sublime et la tension ressentie face aux événements qui s’y déroulent font de « My Absolute Darling » un sommet de la littérature contemporaine. C’est avec une profonde finesse et une acuité prodigieuse que Gabriel Tallent tisse les ressorts de ce terrible drame. La psychologie du père, qui est un manipulateur n’ayant aucune capacité à entendre ou à comprendre la souffrance de l’autre est profondément réaliste. Turtle n’est qu’un jouet, un objet qu’il possède. La culpabilité que ressent la victime d’inceste est ici rendue avec une vérité rarement atteinte dans un roman. La violence du père est physique et psychique. Les mots cognent, frappent. Pour survivre, Turtle va devoir puiser en elle des ressources insoupçonnées. Je rejoins le concert d’éloge autour de ce roman. Le maître Stephen King n’a t’il pas parlé de chef d’œuvre. Rarement un livre ne m’aura à ce point marqué, jusqu’à provoquer même un certain malaise tant la description des sévices physiques et psychiques endurées par Turtle nous ébranle intérieurement. Nul voyeurisme malsain ici, mais un immense roman d’une beauté saisissante malgré la noirceur de son sujet. Si vous ne devirez lire qu’un livre sorti en 2018, je vous recommanderais celui là. Vertigineux et d’une puissance d’évocation rare.

Ma note:5/5.

Broché: 453 pages
Editeur : GALLMEISTER EDITIONS (1 mars 2018)
Collection : Americana

images6IYG4NGML’Histoire : Après avoir quitté l’armée et l’horreur des champs de bataille du Moyen-Orient, Thad Broom revient dans son village natal des Appalaches. N’ayant nulle part où aller, il s’installe dans sa vieille caravane près de la maison de sa mère, April, qui lutte elle aussi contre de vieux démons. Là, il renoue avec son meilleur ami, Aiden McCall. Après la mort accidentelle de leur dealer, Thad et Aiden se retrouvent soudain avec une quantité de drogue et d’argent inespérée. Cadeau de Dieu ou du diable ?

Son premier roman avait littéralement soufflé le public et les critiques qui enthousiastes, avaient salué en David Joy un des plus grands écrivains en devenir. L’attente autour de ce second livre était énorme. David Joy signe avec « Le poids du monde« , une œuvre crépusculaire qui reprend, peu ou prou, les éléments qui font la force du style de David Joy tant sur le fond que sur la forme. A l’assertion qui vise à voir en David Joy un des plus grands écrivains américain de sa génération, je réponds oui et mille fois oui ! Rarement l’émotion brute n’a affleuré à ce point dans un roman aussi sombre soit-il. Les questionnements de David Joy tournent autour de l’hérédité, des liens du sang, de l’amitié, de la possibilité ou non de sublimer les drames de nos vies, de nos existences, de dépasser les contingences sociales.. On retrouve toujours ces Appalaches, terre de souffrance, de misère, de désolation où l’alcool et la drogue servent de pansement aux âmes endolories. David Joy écrit sur les paumés, ceux qui pour une raison ou une autre (vous le découvrirez dans le roman) ratent le bon wagon menant vers l’université, les grandes écoles, un avenir florissant. Non, ces âmes égarés, poignantes et licencieuses sont le terreau, l’humus des grands romans américains qui savent saisir, cueillir la réalité pour en faire une tragédie des plus marquantes. Héritiers des grands écrivains ruralistes américains, David Joy n’est pas un énième ersatz et autre produit de contrefaçon littéraire, mais il trace son sillon, livre après livre avec un talent qui n’échoit qu’aux auteurs écrivant avec leurs tripes, sans se soucier des modes et des exercices de style superfétatoire. Confirmation d’un talent hors norme et affirmation d’un univers sombre certes, mais où perce à travers les nuages quelques rares lueurs de soleil, « Le poids du monde » de David Joy c’est un peu de tout cela. A lire absolument.

Ma note:5/5.

Broché: 320 pages
Editeur : Sonatine (30 août 2018)

imagesL’Histoire : Août 1992. Une vallée perdue quelque part dans l’Est, des hauts-fourneaux qui ne brûlent plus, un lac, un après-midi de canicule. Anthony a quatorze ans, et avec son cousin, pour tuer l’ennui, il décide de voler un canoë et d’aller voir ce qui se passe de l’autre côté, sur la fameuse plage des culs-nus. Au bout, ce sera pour Anthony le premier amour, le premier été, celui qui décide de toute la suite. Ce sera le drame de la vie qui commence. Avec ce livre, Nicolas Mathieu écrit le roman d’une vallée, d’une époque, de l’adolescence, le récit politique d’une jeunesse qui doit trouver sa voie dans un monde qui meurt. Quatre étés, quatre moments, de Smells Like Teen Spirit à la Coupe du monde 98, pour raconter des vies à toute vitesse dans cette France de l’entre-deux, des villes moyennes et des zones pavillonnaires, de la cambrousse et des ZAC bétonnées. La France du Picon et de Johnny Hallyday, des fêtes foraines et d’Intervilles, des hommes usés au travail et des amoureuses fanées à vingt ans. Un pays loin des comptoirs de la mondialisation, pris entre la nostalgie et le déclin, la décence et la rage.

J’avoue accueillir chaque année, avec circonspection, l’heure où l’on annonce à un(e) écrivain(e) qu’il a obtenu un des nombreux prix littéraires. Parmi ces derniers, le plus prestigieux, le prix Goncourt 2018, qui a été décerné à Nicolas Mathieu pour « Leurs enfants après eux« , son second roman qui fait suite à un premier roman déjà salué par la critique (« Aux animaux la guerre », 2014). Dès les premières lignes, on est emporté par ce récit, qui traverse l’œuvre de son auteur depuis ses débuts, celui de décrire un monde en déshérence, une terre autrefois prospère où les âmes en peine semblent s’être donné rendez vous pour faire un dernier pied nez à la vie, avant de sombrer dans l’abime des alcools, de la drogue, de l’ennui qui tue plus sûrement encore. Nicolas Mathieu signe un livre d’une acuité, d’une vérité qui est proprement saisissante. Que ce soit dans les dialogues, dans les situations dépeintes, dans cette peinture réaliste d’une misère sociale enfantant la frustration, le manque de perspective, d’avenir, de sens pour des vies trop tôt abîmées par cette idée que le déterminisme social conditionne tout. L’écriture est ici au service de ceux, fantômes ou spectres d’une France qui se meurt et qui, dans ces années 1990, (temps où se passe l’action de ce récit) voit poindre les prémices des malheurs qui la rongent aujourd’hui encore : le chômage, la misère et ces conséquences, notamment sur les adolescents de ces territoires oubliés, délaissés par les politiques successives. Nicolas Mathieu reprend le flambeau d’une littérature qui s’interroge sur les conséquences de décennies d’incurie, de négligence, de conditionnement qui ont conduit à des conséquences dévastatrices. On est ému, touché par la justesse du propos. Il nous parle de l’adolescence, de cet âge où tout se dessine, des premiers amours, de leurs conséquences, de l’impossible avènement d’une réelle espérance quand à une vie meilleure pour ces jeunes issus de milieux défavorisés. Une frontière se dessine à l’horizon et elle traverse le roman de part en part, car, plus que tout, on hérite de la situation, du milieu social de ses parents comme on hérite des traits physiques ou de caractère de ces derniers. « Leurs enfants après eux » est un immense roman sur les fractures sociales, les failles qui parsèment ces territoires oubliés, sur l’impossibilité de faire advenir les espérances d’une jeunesse meurtrie par le poids du monde. Nicolas Mathieu dresse le portrait des paumés, des proscrits d’un modèle social qui autrefois leur assurait l’espoir d’une vie meilleure que celle de leurs parents ou grands parents. Ses mots touchent et résonnent dans nos âmes pendant longtemps.

Ma note:5/5.

Broché: 425 pages
Editeur : Actes Sud (22 août 2018)
Collection : ROMANS

LO0068_Barry.inddL’Histoire : Chassé de son pays d’origine par la Grande Famine, Thomas McNulty, un jeune émigré irlandais, vient tenter sa chance en Amérique. Sa destinée se liera à celle de John Cole, l’ami et amour de sa vie.

Sebastian Barry signe avec « Des jours sans fin » une fresque d’une puissance d’évocation rare qui nous emporte dans les lointaines terres de l’Ouest américain. On assiste, en ces années 1850, à une ruée vers les grandes plaines des colons blanc qui espèrent ainsi fuir la misère et se construire une nouvelle vie. Les Amérindiens sont chassés peu à peu de leurs terres ancestrales. On assiste ainsi à cette lutte entre de pauvres hères et des soldats des Etats-Unis d’Amérique. Une lutte d’une violence inouïe. Puis survient, en 1861, la guerre de Sécession entre l’Union et les Confédérés. Un des tout premiers conflits « moderne » tant dans l’ampleur des pertes ressenties des deux côtés, que dans l’utilisation de nouvelles armes qui font d’énormes dégâts humains (617 000 morts parmi les combattants entre 1861 et 1865). Au milieu de ce chaos, l’amour entre Thomas (le narrateur) et John Cole. L’homosexualité est abordée d’une très jolie façon par Sebastian Barry. Puis survient Winona, leur fille adoptive sioux qu’ils chérissent plus que tout au monde. On est touché par ce récit en creux sur les apparences, sur la violence qui est consubstantielle à la conquête de ces grandes plaines de l’Ouest. Au milieu de ces drames, des êtres qui ne se sentent jamais à leur place nulle part. Le racisme est une autre thématique importante du livre, qu’il soit à l’encontre des Amérindiens ou des personnes de couleur. On est cueilli par cette écriture limpide, souvent cru mais aussi capable de moments de tendresse et d’émotion. Balayant les préjugés, Sebastian Barry nous démontre qu’au cœur même de l’enfer, qui n’est pas ailleurs qu’ici-bas, subsiste une forme de rédemption, de lumière, que l’on ne retrouve avec autant de force qu’en l’amour. Roman tout en contraste, tantôt solaire, tantôt sombre mais aussi énigmatique sur les destinées de nos vies, Sebastian Barry convoque et célèbre le mythe américain en le dépoussiérant sans omettre d’évoquer les tisons d’une histoire complexe et aujourd’hui encore, nullement apaisée.

Ma note:5/5.

Broché: 272 pages
Editeur : Joëlle Losfeld (11 janvier 2018)
Collection : Littérature étrangère/Joëlle Losfeld

DSC02993L’Histoire : 1985, Paris est frappé par des attentats comme le pays en a rarement connu. Dans ce contexte, Marc Masson, un déserteur parti à l’aventure en Amérique du Sud, est soudain rattrapé par la France. Recruté par la DGSE, il est officiellement agent externe mais, officieusement, il va devenir assassin pour le compte de l’État. Alors que tous les Services sont mobilisés sur le dossier libanais, les avancées les plus sensibles sont parfois entre les mains d’une seule personne… Jusqu’à quel point ces serviteurs, qui endossent seuls la face obscure de la raison d’État, sont-ils prêts à se dévouer? Et jusqu’à quel point la République est-elle prête à les défendre?

Avec « J’irai tuer pour vous« , Henri Loevenbruck nous plonge au cœur des services de renseignements et des arcanes du pouvoir politique en France. Nous sommes au milieu des années 1980 et une vague d’attentats sans précédent frappe le pays et notamment la capitale. Au même moment, la France fait tout ce qui est en son pouvoir pour libérer les otages retenus au Liban, un pays alors en pleine guerre civile. Au milieu de ce chaos, des luttes d’influence entre la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) et la Direction Général de la Sécurité Extérieur (DGSE), des querelles politiques et autres jeux de pouvoir, des attentats qui se multiplient, on suit le parcours, la vie d’un homme : Marc Masson. Ce dernier est un idéaliste, un être profondément révolté par l’injustice depuis son plus jeune âge, un homme aux facultés incroyables qui deviendra « Agent », un nom qui désigne une personne extérieure qui ne fait pas partie de la DGSE, chargé des missions les plus périlleuses. La force de ce roman réside dans ce choix judicieux de l’auteur de faire s’entrecroiser plusieurs récits ce qui donne une puissance d’évocation et un souffle à l’histoire qui emporte le lecteur. Henri Loevenbruck use avec maestria de l’échelle multiscalaire pour mieux nous immiscer dans la complexité du règlement de ce conflit contre le terrorisme islamiste. L’incurie des ministres, les jeux de pouvoir, la difficile traque des commanditaires et de leurs exécutants des attentats en France et des enlèvements de journalistes français au Liban, l’auteur ne nous épargne rien afin d’être au plus près de la réalité. Du sommet de l’Etat, aux hommes de l’ombre en passant par les terroristes eux-mêmes, Henri Loevenbruck nous immerge et nous fait découvrir ce monde de l’ombre, du secret d’état. Le personnage central de « J’irai tuer pour vous », Marc Masson, est profondément attachant. On est saisi par le courage de ces hommes qui chaque jour luttent pour que nous vivions encore libres. Henri Loevenbruck s’est inspiré de faits réels et Marc Masson est ainsi le pseudonyme d’un véritable agent avec qui l’auteur a eu de nombreux entretiens. Un auteur qui souhaite par ce livre rendre hommage à ces hommes de l’ombre qui poursuivent des missions d’une rare complexité, n’hésitant pas à mettre leur vie en jeu pour nous protéger. Bien sûr, le contexte même de cette histoire nous fait indéniablement songer à ce que nous vivons aujourd’hui encore, malheureusement. Comme à chaque fois avec Henri Loevenbruck, le style est enlevé, la plume affutée au service de l’action, ce qui fait qu’il n’y a aucun temps mort, mais pas seulement car le récit nous réserve aussi de beaux moments d’émotion. Nulle volonté ici de trop vous dévoilez l’histoire. Je vous laisse découvrir ce thriller d’espionnage qui est aussi celui de la vie d’un homme peu ordinaire : Marc Masson. En cherchant à se rapprocher au plus près des réalités du terrain, du climat de cette période, en ne trahissant pas et en ne masquant pas la complexité des enjeux, Henri Loevenbruck nous envoûte et nous prouve, s’il en était besoin, qu’il est décidément un auteur incontournable, un des maîtres du genre. Le suspense est haletant. C’est, à n’en pas douter, un de ses tous meilleurs livres ! Passionnant.

Je remercie chaleureusement les éditions Flammarion, l’auteur Henri Loevenbruck, merci également à Masse critique ainsi qu’à Babelio pour ce très beau moment de lecture!

Ma note:5/5.

Broché: 640 pages
Editeur : FLAMMARION (24 octobre 2018)
Collection : Thriller