J’ai passé la barre symbolique des 150 000 visites sur ce blog que je tiens depuis l’été 2007 ! (tout d’abord sur Vox puis à partir de 2010 sur WordPress) Je voulais vous remercier chaleureusement pour votre fidélité. Merci à toutes et à tous ! Longue vie à nos échanges et à WordPress. Bises bretonnes 🙂 😉


l_entretempsL’Histoire :
Quel est le problème ? On le dira ici simplement, tant est criante son actualité. Il s’agit de trouver les lieux où peut se dire le politique. Non pas la parole instituée et instituante de la grande émotion révolutionnaire, mais celle, vibrante, efficace pour chacun, qui cheminera librement dans nos vies. Car elle s’énonce partout, sauf là où elle s’annonce comme politique. Face aux textes, devant l’image, il faut pour la saisir s’adonner à quelques exercices de lenteur. Faire comme eux, les trois philosophes. Trois hommes d’âge différent, qui méditent, qui commentent et qui espèrent. Ils prennent la mesure de la diversité du monde, tandis que le jour faiblit. Mais qui sont-ils ? Giorgione a peint la succession des âges comme une énigme. Alors tentons de les faire converser, depuis le pli du temps qu’ils occupent, arrêtés là, désœuvrant le cours glorieux des siècles – dans l’entretemps.

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On ne présente plus Patrick Boucheron, historien et professeur au collège de France depuis 2015 (chaire d’histoire des pouvoirs en Europe Occidentale XIIIème s. XVIème s.). Il a notamment enseigné et étudié l’histoire du Moyen Age à l’école normale supérieur de Fontenay Saint-Cloud et à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne. Son domaine de recherche est l’Italie médiévale (ses villes, ses princes, ses artistes) mais aussi l’écriture de l’histoire aujourd’hui. C’est cette dernière question qui est abordée dans « l’entretemps, conversations sur l’histoire ». Sa réflexion est la suivante : Qu’est ce que comprendre le monde ? Il s’appuie sur le tableau de Giorgone « les trois philosophes (peint à Venise entre 1504 et 1506) pour dresser une allégorie sur le temps et l’histoire. Une lecture vivifiante, riche et éclairante comme à chaque fois avec l’historien. « L’histoire ne vaut que si elle consent à dire quelque chose de nos vies » soutient-il. Son texte nourrit le débat. L’écriture, le style est ciselé et en même temps on ressent les sentiments qui font de l’historien un homme de conviction qui n’hésite pas à trancher, à prendre position quitte à déplaire. Sa récente publication de « L’histoire mondiale de la France » s’inscrit dans sa volonté d’engagement.
Pour Plutarque en 1373, on devait rêver d’une Europe entièrement gréco latine et résolumment chrétienne. Il écrivait ainsi « Qu’est ce donc que l’histoire sinon l’éloge de Rome » (sous entendu celle du pape). Aujourd’hui, on s’accorde sur la profuse diiversité des passés du monde avec une historiographie du décloisonnement des regards, thème cher à Patrick Boucheron (cf. par exemple, les fameuses expéditions maritimes de l’amiral chinois Zeng He de 1405 à 1433). L’histoire du monde (telle qu’ordinairement on la raconte) ne dit pas tout du monde et laisse bien des singularités hors d’atteinte et tant de villes, tant de livres, tant de langues qu’elle délaisse écrit Boucheron. Il s’oppose à la légende des siècles qui enracine l’arbre généalogique d’une identité ethnique dans un territoire. Vaste sujet qui fait énormément débat. Or l’histoire « (…) n’est rien d’autre que la chronique toujours incomplète d’un point de vue singulier ». Il cite longuement Michel Foucault : creuser, s’acharner, trancher, (disait-il)ne pas se laisser emporter par l’ordre des temps en ses saccades successives, le flux d’une vérité qui se dit toute, mais ralentir la cadence, laisser bailler l’entretemps ». Pour Michel Foucault, la tâche de l’historien consiste à dissiper les continuités en saccageant le petit jardin des racines et des identités, y empêcher tout retour. Je cite cette phrase clef de Foucault :
« Il faut mettre en morceaux ce qui permettait le jeu consolant des reconnaissances. Savoir même dans l’ordre historique, ne signifie pas « retrouver » et surtout pas « nous retrouver ». L’histoire sera « effective » dans la mesure où elle introduira le discontinu dans notre être même. »
« L »histoire divisera nos sentiments, dramatisera nos instincts, elle multipliera notre corpset l’opposera à lui-même. Elle ne laissera rien au dessous de soi qui aurait la stabilité rassurante de la vie ou de la nature; elle ne se laissera porter par aucun entêtement muet, vers une fin millénaire. Elle renversera ce sur qui on aime la faire reposer, et s’acharnera contre sa prétendue continuité. C’est que le savoir n’est pas fait pour comprendre, il est fait pour trancher ».
Pour Gilles Deleuze, dans son « Abécédaire », à la lettre H pour Histoire de la philosophie : la tâche de l’historien est de traquer le problème derrière le concept. Patrick Boucheron écrit que la tâche de l’historien ne consiste pas à se faire le pourvoyeur d’idées générales pour la société du spectacle mais s’adonner à l’ordinaire de son métier d’historien. C’est un exercice de patience et d’humilité. Et Boucheron de citer Nietzsche : « se tenir à l’écart, prendre son temps, devenir silencieux, devenir lent » et contrer la hâte moderne de l’âge du travail « qui veut tout de suite « en avoir fini » avec tout ». Pour conclure, Patrick Boucheron exprime cette idée que « L’histoire n’est rien d’autre que cela : un moyen de dévisager cette hantise, avec la froide exactitude qu’exige l’urgence des temps cassants« . Un ouvrage dense par la richesse de son analyse. Que l’on soit d’accord ou pas avec les théories de Patrick Boucheron, on ne peut que souligner son talent d’écriture et la finesse de sa réflexion sur le temps et l’histoire dont je ne vous ais exprimer ici que quelques éléments épars qui m’ont marqués au cours de ma lecture. A lire pour qui aime le débat d’idées.

Ma note:5/5.


Da_68TRW0AYD0RfL’Histoire :
Dans une époque où semblent dominer le présentisme et le sentiment de fatalité, Patrick Boucheron et François Hartog envisagent ici les contours possibles d’une « histoire à venir ».

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Le festival « L’Histoire à venir » a lieu, depuis deux ans maintenant, à Toulouse. On retrouve dans cet ouvrage, une conférence donnée par les historiens Patrick Boucheron (qu’on ne présente plus) et François Hartog en mai 2017. Que dire sinon que c’est magnifiquement écrit, pleins de réflexions intéressantes, une mine d’or pour qui souhaite réfléchir sur l’histoire. Je me suis surpris à préférer l’intervention de François Hartog qui est très claire et didactique. On soulève ainsi de nombreuses questions et autant de recherches à mener pour le lecteur qui souhaiterait, par la suite, prolonger sa soif de découverte. Seul petit bémol, le prix de l’ouvrage 13 euro pour seulement 78 pages mais les éditions Anacharsis ont bien fait les choses avec une jolie couverture. Le prix à payer pour deux interventions passionnantes.

Ma note:5/5.