1254L’Histoire : D’une grande figure de la philosophie à une école de pensée, des maîtres aux disciples, d’un discours sur sa méthode à une leçon d’histoire, Lucien Jerphagnon nous plonge aux sources de notre temps et de notre culture. Avec son érudition savoureuse, et cet art fulgurant d’exhumer le passé et d’ incarner les textes, le grand historien nous rappelle pourquoi les penseurs de l’Antiquité -Platon, Plotin et saint Augustin en tête- ont porté jusqu’à nos jours une irréfutable initiation à tout ce qui est la vie de l’esprit, et à tout ce qui rend vivant en général. En recréant, par-delà les siècles, la plus enthousiasmante des communautés d’esprit, Lucien Jerphagnon remplit tous les devoirs de la paideia, cet art d’enseigner et de transmettre qui, plus qu’un savoir, est une éducation de l’être.

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« Portraits de l’Antiquité » est le sixième ouvrage que je lis du regretté Lucien Jerphagnon. Son directeur de thèse n’était autre que Vladimir Jankélévitch. Il défendait une double approche : philosophe de l’histoire et historien de la philosophie. Il a érigé tout au long de sa vie d’intellectuel, une histoire non philosophique de la philosophie. Celui qui s’est toujours opposé au dogmatisme se voulait pédagogue dans la forme. Ces écrits sont toujours plaisants à lire car il ne manquait pas d’humour mais aussi parce que sur le fond, il était tellement brillant. C’est très certainement un des esprits du XXème siècle pour l’histoire de la pensée au même titre qu’un Jacques Le Goff pour l’histoire médiévale. D’Héraclite d’Ephèse à Socrate et Platon, d’Epicure à Lucrèce, du stoïcisme au néoplatonisme avec Plotin et Porphyre pour finir avec Saint Augustin dont il était l’un des plus éminents spécialistes, Lucien Jerphagnon nourrit l’âme. Il avait ce don pour rendre intelligible les concepts les plus ardus. Lire Lucien Jerphagnon c’est se plonger dans le quotidien, c’est se mettre au plus près des préoccupations de ces penseurs de l’Antiquité. Une nouvelle fois, je suis ressortis de ma lecture avec l’envie d’apprendre encore et encore car comme le disait Lucien Jerphagnon citant lui même Saint Augustin : « Je sais que je ne saurais pas tout mais il faut chercher pour trouver et trouver pour chercher. Quand, je trouve c’est pour chercher davantage.« 

Un Lucien Jerphagnon qui disait également une chose très belle :

« Accepter de perdre ses illusions sans jamais renoncer à l’émerveillement. »

Michel Onfray, aujourd’hui, reprend ce flambeau. Lisez Lucien Jerphagnon, vous ne perdrez jamais votre temps. Admirable.

Ma note:5/5.

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Oleg Khlevniuk est considéré comme étant le plus éminent historien russe du stalinisme. Il signe une biographie de « Staline » qui est sortie à la fin de l’année 2017 chez l’éditeur Belin. En préface, Nicolas Werth, autre grand spécialiste de l’histoire de l’URSS et directeur de recherche à l’Institut d’histoire du temps présent (affilié au CNRS) souligne la qualité de cette dernière qui fait le point sur les avancées de la recherche sur cette question et tente ainsi de s’opposer à un courant révisionniste dans la Russie de Poutine, visant à minimiser le rôle du dictateur Staline dans les crimes qui lui sont imputés. Dans un XXème siècle riche en atrocités et autres crimes contre l’humanité, Staline fait figure (avec Hitler), de monstre absolu. Ce n’est pas ma lecture de cette biographie très documentée qui me fera tenir le discours inverse. On ressort écoeuré, vidé, révolté face à l’ampleur des crimes du dictateur. On nous apprend en histoire à toujours remettre dans leurs contextes, les événements qui se sont déroulés et ce afin d’éviter le crime absolu dans cette matière: l’anachronisme. J’ai choisi ici de vous parler de mon ressenti par rapport au livre plutôt que de vous faire une leçon d’histoire plus classique. Oleg Khlevniuk plonge dans les méandres de la vie de Staline pour nous aider à mieux comprendre ce qui a fait de cet homme un être aussi abject et repoussant. Celui que sa mère voulait voir devenir prêtre et qui a donc fait le séminaire pendant plusieurs années, se détourne de la foi pour épouser le marxisme et mener une vie de révolutionnaire comme il y en avait beaucoup avant la première guerre mondiale dans la Russie tsariste. Plusieurs fois arrêté par la police du Tsar, exilé à maintes reprises dans les confins sibériens, Staline était un jeune homme d’une radicalité et d’une violence peu commune. Son extrémisme, son incapacité à percevoir le monde au delà des impressions très simplistes de sa pensée vont l’entraîner tout au long de sa vie à choisir les mesures les plus radicales. Sa vie personnelle est chaotique, il est incapable du moindre attachement ni de la moindre compassion envers l’autre. Il gravit les échelons au côté de Lénine après la révolution d’Octobre 1917. Un Lénine qui peu avant sa mort, rejette catégoriquement l’idée de confier le pouvoir suprême à un homme tel que Staline. Venant d’un extrémiste tel que Lénine, cette défiance provoque l’effroi. Rien ne semble empêcher l’ascension du petit Père des peuples. Au sein du Politburo dans les années 1920 (organe politique suprême formé de membres élus du comité central du parti communiste et qui assure la direction politique de ce parti dans l’intervalle des réunions du comité central.) il joue avec malice des dissenssions pour diviser les membres de cet organe politique afin d’assouvir ses ambitions personnelles. Il s’opposera avec son ennemi intime Trotski durant toute cette période. Staline ne recule devant aucun stratagème pour asseoir son autorité. Les purges (notamment les Grandes Purges de 1937-1938), les procès politiques, l’invention de complots montés de toutes pièces par la TCHEKA puis le NKVD, l’usage de la torture, les exécutions de masse, l’usage du système des Goulags où vont être envoyés des millions d’êtres humains, l’affamement des campagnes et des koulaks (qui devaient selon ses propres termes « disparaître en tant que classe sociale »), suite à son choix désastreux de collectiviser les terres et de privilégier l’industrie lourde au détriment de l’agriculture, causera la morts de millions d’hommes, de femmes, d’enfants, de vieillards.. Uniquement préoccupé et ce jusqu’à la fin de sa vie, par la seule volonté de conserver le pouvoir entre ses mains, Staline mènera sans cesse des purges afin de terrifier ses adversaires le plus souvent imaginaire tant sa paranoïa est pathologique. Jusqu’à sa mort, en mars 1953, Staline et le système éponyme qu’il mettra en place, n’aura de cesse de vouloir martyriser son peuple. La grande guerre patriotique contre l’Allemagne nazie de juin 1941 jusqu’à la victoire et la prise de Berlin pour le 1er Mai 1945, puis la guerre froide qui s’ensuivra, rien ne permettra jamais de faire changer d’un iota la ligne politique et criminelle tracée par le dictateur. Les chapitres sur sa mort et la réaction de ses hommes au pouvoir qui craignent jusqu’au bout qu’il puisse les faire exécuter, exiler etc.. pour avoir pris la simple décision de faire venir un médecin.. est édifiante ! Staline, à la fin de sa vie, cherchera à monter un complot de toute pièce visant à discréditer les médecins qui, selon lui, voulaient le tuer, l’assassiner.. Son antisémitisme, des plus virulent, c’est concrétisé après la seconde guerre mondiale par une politique révoltante visant à faire croire que tout Juif russe était sioniste et que de fait tout sioniste était un « agent américain ».. Là encore sa paranoïa, sa suspicion maladive, la « folie » qui l’anime, le pousseront aux pires extrémités. A la lecture de cet ouvrage formidablement écrit, précis, on est abasourdi par l’énormité, la somme des crimes du dictateur. L’aveuglement de certains intellectuels français qui durant cette période louait la politique de Staline nous sonne aujourd’hui. Comment un tel aveuglement a t’il été possible ? Fort heureusement, depuis trente ans, des historiens mènent un travail salutaire sur le bilan à tirer de ces années de communisme stalinien. On n’hésite plus aujourd’hui à renvoyer dos à dos les deux idéologies mortifères que sont le communisme et le nazisme (le fascisme aussi bien sûr). Un ouvrage important sur une période terrifiante à plus d’un titre. A lire pour mieux comprendre.
Ma note:5/5.